Après presque trois décennies de lutte contre la pandémie du VIH/sida marquées par les mesures d’urgence, un nouveau sentiment d’optimisme souffle aujourd’hui dans la communauté international du développement. Désormais, la preuve est faite que des investissements ambitieux et stratégiques peuvent changer le cours de la maladie. Cependant, le VIH/sida représente toujours un fardeau majeur de santé publique pour les pays en voie de développement. Plus de 34 millions de personnes vivent avec le VIH et rien que ces deux dernières années, plus de 5 millions de personnes ont contracté le virus. Au cours de la décennie écoulée, des investissements soutenus ont amélioré l’accès aux services de traitement et de soins et permis de faire des progrès dans la lutte contre cette maladie déstabilisante et destructrice. Mais ces deux dernières années, plusieurs études scientifiques majeures, menées sur le terrain, ont montré que les interventions ciblées, lorsqu’elles sont mises en œuvre de manière combinée, peuvent prévenir la propagation de la maladie de façon plus efficace qu’on ne l’aurait jamais imaginé. Les conclusions démontrent notamment que :
- Le traitement par medicaments antirétroviraux (ARV) est aussi un moyen de prévention efficace qui réduit jusqu’à 96 % le risque de transmission chez les couples hétérosexuels ;
- La circoncision masculine médicale volontaire est une stratégie de prévention efficace pour les hommes hétérosexuels, qui réduit jusqu’à 60 % le risque d’infection ;
- L’élimination virtuelle de la transmission du VIH de la mère à l’enfant est possible grâce à des schemas de traitement et de soins qui réduisent le risque de transmission dans plus de 98 % des cas ;
- L’utilisation des ARV comme la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour les personnes séronégatives est une stratégie de prévention prometteuse pour les populations les plus exposées.
Ensemble, ces approches biomédicales proposent un nouveau modèle de prévention au VIH : des efforts stratégiques fondés sur la science, l’innovation et des prestations adaptées aux besoins plutôt que le recours à des méthodes de prévention plus anciennes et moins efficaces.
A la lumière de ces découvertes, ajoutées au prix en constante diminution des ARV, de nombreuses parties prenantes font à présent preuve d’un nouvel optimisme sur les perspectives d’endiguer et, à terme, d’inverser le cours de la pandémie. Des voix éminentes, notamment celle de la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, et celles d’experts techniques comme le Dr Anthony Fauci de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, mettent en évidence un changement dans la lutte contre le sida et la promesse d’atteindre l’objectif d’une « génération sans sida». En juin 2011, les dirigeants du monde se sont réunis pour signer la déclaration politique des Nations Unies sur le sida qui reconnait ces avancées et cherche à rassembler l’action collective autour de « la vision partagée d’un monde avec zéro nouvelle infection, zéro discrimination et zéro décès lié au sida ». Lors de la Journée mondiale de luttre contre le sida 2011, trois présidents américains, actuel et anciens, ainsi que le président Kikwete de la Tanzanie se sont réunis pour parler de l’émergence de cette occasion unique de voir enfin le « début de la fin du sida ». En juillet 2012, plus de 20 000 défenseurs de la cause, scientifiques et politiciens se sont à leur tour rassemblés à l’occasion de la Conférence internationale sur le sida sur le thème « Ensemble, changeons le cours [de la pandémie] » – un thème choisi par de nombreux intervenants, y compris le nouveau président français François Hollande.
Pourtant, aussi convaincante et scientifiquement fondée soit-elle, cette vision ne suffit pas à stimuler l’action et générer le changement. Malgré les nombreux signes positifs, aucune feuille de route mondiale n’a été approuvée pour parvenir au début de la fin du sida et rares sont les chefs d’Etat qui ont exposé les mesures spécifiques qu’ils prendront pour arriver à cet objectif. De fait, l’idée d’une responsabilité partagée pour atteindre cet objectif n’existe pas encore, pas plus qu’il n’y a d’effort réel pour répartir le travail entre chaque partie prenante et avancer sur des objectifs spécifiques.
Par ailleurs, la concrétisation de cette vision demandera de nouveaux moyens et une utilisation plus efficace des ressources existantes. L’environnement économique mondial reste un défi permanent, car les gouvernements des pays donateurs doivent faire face à des decisions budgétaires difficiles sur les dépenses en matière de développement et de santé globale. Les recherches menées par la Fondation de la famille Kaiser et l’ONUSIDA indiquent que le financement des bailleurs a peu changé ces des deux dernières années et s’est stabilisé après dix ans de forte croissance. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – l’un des principaux outils permettant aux bailleurs de verser des fonds aux programmes de lutte contre le sida sur le plan mondial – n’a pas atteint ses objectifs de mobilisation des ressources pour la période 2010-2012 ; l’an passé, il a fait l’objet d’une série de réformes difficiles mais importantes en matière de politique et de gestion. Dans le même temps, le financement mondial pour la lutte contre le sida continue d’être en concurrence avec d’autres dépenses de santé et de développement – qui ont chacune leurs propres objectifs et agendas ambitieux pour l’obtention de ressources domestiques et internationales limitées. Il est encourageant de voir que de nombreux pays africains qui ont connu des taux de croissance impressionnants au cours de la décennie écoulée ont intensifié leurs efforts et jouent un rôle plus important dans le financement des programmes de lutte contre le sida au service de leurs propres citoyens. En effet, pour la première fois, le financement des pays à revenu faible et intermédiaire pour la lutte contre le sida représente plus de la moitié du financement mondial total. Autre tendance encourageante : leurs efforts sont de plus en plus renforcés par ceux des parties prenantes non gouvernementales, avec leurs réseaux, leurs compétences et leur expertise uniques.
Dans ce contexte, le nouveau rapport de ONE, Le début de la fin ? suivi des engagements mondiaux sur le sida, tente de cartographier la situation politique, le contexte fiscal et les politiques mises en œuvre autour de la riposte mondiale pour atteindre cet objectif. Le rapport explique la façon dont ONE définit le début de la fin du sida et décrit les avancées réalisées à ce jour au regard d’indicateurs spécifiques de la maladie. Il examine ensuite les contributions effectuées par les diverses parties prenantes au niveau mondial. Les actions des donateurs traditionnels sont soulignées en détail. Le rapport inclut aussi une nouvelle analyse portant sur le leadership africain relatif au sida et des études de cas qui mettent en évidence les contributions uniques des économies émergentes, du secteur privé et des organisations non gouvernementales, dont les organisations confessionnelles, pour participer à la réalisation du début de la fin du sida. Nous approchons de la Journée mondiale de lutte contre le sida 2012, à un moment crucial de la lutte contre la pandémie. La maxime selon laquelle « les actes parlent plus fort que les mots » nous le rappelle. Le monde a réalisé des progrès incroyables pour comprendre, prévenir et traiter cette maladie au cours des trois dernières décennies. Mais il reste encore beaucoup à faire. Si la communauté internationale – et pas simplement une poignée de bailleurs ou de pays – n’agit pas de concert et ne prend pas d’engagements concrets pour réaliser cette vision convaincante, nous ne verrons pas le début de la fin du sida.
J’exhorte la communauté internationale à tenir les engagements qu’elle a pris. J’appelle à un changement dans la perception de l’aide qui ne doit plus être considérée comme de la charité, mais comme une responsabilité partagée et un investissement judicieux qui rapporte à tous. Ensemble, nous devons favoriser une riposte plus durable à l’épidémie de VIH afin de préserver notre avenir commun.
– Ban Ki-moon,
secrétaire general des Nations Unies