BRISONS LE CERCLE DE LA FAIM ET DE LA PAUVRETÉ
Notre défi : briser le cercle vicieux de la faim et de la pauvreté
Malgré la croissance économique soutenue enregistrée au cours de ces dernières décennies dans le monde – y compris dans quelques-uns des pays les plus pauvres d’Afrique – des millions de personnes sont toujours prises au piège du cercle vicieux de la faim et de la pauvreté. Une situation de pauvreté qui empêche les parents d’assurer les besoins nutritionnels de leur famille, avec pour conséquence la malnutrition infantile.
Or, la malnutrition provoque des retards de croissance irréversibles et diminue l’espérance de vie et les possibilités de mener une vie productive. Privés de moyens de subsistance, ces enfants ne pourront échapper à la pauvreté à l’âge adulte. Nous nous devons donc de briser ce cercle vicieux.
1,4 milliard de personnes – soit 20% de la population mondiale – sont confrontées à une situation d’extrême pauvreté, avec un revenu inférieur à 1,25 dollar, soit 0,931 euro, par jour2. 1,4 milliard de personnes, c’est près de trois fois celle de tous les États membres de l’Union européenne, ou plus de quatre fois et demi la population des États-Unis.
Plus de deux tiers de ces personnes en situation d’extrême pauvreté – soit près d’un milliard d’habitants de notre planète – ne mangent pas à leur faim3. Se coucher le ventre vide fait partie de leur quotidien. Mais le problème dépasse celui de la faim. Faute d’une alimentation suffisante et privés de nutriments, quelque 178 millions d’enfants en bas âge – pour cette seule année – vont devenir rachitiques et ce retard de croissance irréversible limitera leur capacité à grandir et à apprendre.
Cette situation diminue considérablement leurs possibilités de gagner correctement leur vie et de pourvoir ainsi aux besoins de leur famille et aux leurs lorsqu’ils seront adultes. Selon les estimations de la Banque mondiale, la malnutrition diminue de 10% les revenus potentiels tout au long de l’existence. Et les conséquences de la malnutrition ne s’arrêtent pas là : dans le même rapport, la Banque mondiale estime que la sous-alimentation peut faire chuter le PIB d’un pays de 2 à 3%4.
Les crises alimentaires et les famines sont les manifestations les plus criantes de la faim et de la pauvreté. Depuis la terrible famine qui a ravagé l’Éthiopie dans les années 1980, la communauté internationale s’emploie à mettre en place des mesures visant à prévenir les conséquences les plus graves de la sécheresse et autres catastrophes naturelles, comme par exemple des systèmes d’alerte rapide, des programmes de sécurité sociale ou des interventions humanitaires coordonnées.
Pourtant, nous n’avons pas encore réussi à éradiquer la faim. La famine qui a touché la Somalie en 2011 et la crise alimentaire dans toute la Corne de l’Afrique ont fait des milliers de morts, surtout des enfants. Et une nouvelle crise alimentaire se profile dans la région du Sahel, en Afrique de l’Ouest, où, selon les Nations Unies, au moins 15 millions de personnes seraient confrontées au risque d’insécurité alimentaire5.
Même si les causes de ces crises sont souvent complexes, allant de l’instabilité politique et d’une gouvernance faible à des conditions climatiques imprévisibles, il est incompréhensible qu’à notre époque d’abondance, des mères n’aient d’autre choix que de regarder leurs enfants mourir de faim.
Projet WALA (Bien-être et agriculture pour améliorer les vies)
Dans un village à flanc de colline, situé au milieu de nulle part, au cœur du district de Zomba, au Malawi, l’ONG Save the Children travaille en coopération avec les communautés pour améliorer le bien-être et les moyens de subsistance des habitants. L’accent est mis sur l’amélioration de l’alimentation, l’assainissement et l’accès à l’épargne et au crédit.
La communauté a creusé une tranchée en amont de la pente pour éviter que le ruissellement des terres arables et les coulées de boue ne viennent détruire leurs champs de maïs. Avec Save the Children, les agriculteurs, formés à l’agriculture de conservation, ont construit une digue et plus de 100 mètres de canaux pour irriguer les champs des foyers les plus vulnérables de la communauté. Les familles ont également reçu une formation dans le domaine de la nutrition, de la santé et de l’assainissement. Des plants de manguiers, goyaviers, papayers, orangers et mandariniers apportent un peu de douceur outre les avantages d’une alimentation saine.
L’impact de ces investissements ne fait aucun doute à en juger par les sourires rayonnants des enfants et la fierté des femmes devant le travail accompli.
Le Malawi est très dépendant de son secteur agricole. Les petits agriculteurs et leurs familles représentent environ 85% de la population.
Le projet WALA s’inscrit dans le cadre du programme d’investissement dans l’agriculture du Malawi – l’ASWAp (Agriculture Sector Wide Approach). Il est mis en œuvre par Save the Children au titre de l’initiative Feed the Future et s’aligne sur les principes du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), le Malawi ayant signé le pacte PDDAA en avril 2010.
Notre chance : trente pays ont un plan
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible6 de briser ce cercle vicieux de la pauvreté et de la faim. Nous savons aujourd’hui ce qu’il faut faire pour augmenter la production alimentaire et les revenus des habitants pour qu’ils puissent acheter à manger. Pour faire en sorte que les enfants soient correctement alimentés et qu’ils puissent ainsi grandir en bonne santé.
Investir dans l’agriculture – et dans les systèmes financiers et les infrastructures qui la soutiennent – est l’une des meilleures façons de réduire la pauvreté dans les pays en développement, et plus encore en Afrique. Les revenus agricoles représentent environ 30% du PIB du continent et plus de deux tiers des Africains vivent de l’agriculture. Lorsqu’ils ont accès aux marchés, les petits agriculteurs peuvent se procurer des revenus, envoyer leurs enfants à l’école et aider leur communauté à sortir durablement de la pauvreté.
En raison de cet « effet multiplicateur », catalysé par le développement de l’agriculture, les investissements dans l’agriculture seraient entre deux et quatre fois plus efficaces pour atténuer la pauvreté que la croissance générée par d’autres secteurs7.
Dans de nombreuses régions du monde, d’immenses progrès ont déjà été réalisés. La révolution verte de la deuxième partie du siècle dernier s’est accompagnée d’une augmentation considérable des rendements agricoles, grâce à l’introduction de nouvelles technologies et aux pratiques agricoles, soutenues par des investissements publics massifs dans ce domaine.
À elle seule, l’Inde a bénéficié d’une augmentation considérable de sa production de blé qui est passée de quelque 10 millions de tonnes en 1961 à un peu moins de 50 millions de tonnes en 1990 : un quintuplement en moins de trente ans8. Des études ont montré que ces investissements agricoles avaient sauvé la vie de quelque 30 millions d’enfants des pays pauvres entre 1970 et 19909.
Malheureusement, certaines parties du monde n’ont pas autant profité de cette révolution verte. Si de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine ont prospéré, l’Afrique n’a pas bénéficié d’autant d’efforts et d’investissements en faveur de l’agriculture et du développement rural. Les initiatives visant à adapter les technologies aux différents contextes agricoles et écologiques propres à ce continent ont été trop peu nombreuses tandis que l’aide internationale dédiée aux investissements agricoles en Afrique subsaharienne chutait de 72% entre 1988 et 200310.
Les gouvernements africains ont eux aussi trop peu investi dans le secteur agricole et le soutien aux petits agriculteurs. Le montant total des dépenses nationales dans le secteur agricole africain est resté stable – à 3 milliards d’euros (4 milliards de dollars) en 1980 comme en 1990 – alors qu’en Asie, les dépenses nationales qui dépassaient déjà 52 milliards d’euros (70 milliards de dollars) au total en 1980, atteignaient les 75 milliards d’euros (100 milliards de dollars) en 199011.
Les choses commencent heureusement à changer. Depuis 2003, l’aide dédiée au secteur agricole en Afrique est en augmentation, en grande partie grâce à une volonté plus ferme des dirigeants africains de s’attaquer à ce problème et au plaidoyer en faveur de l’agriculture de personnalités comme Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies et président de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA).
On reconnaît aujourd’hui de plus en plus la nécessité de relever les niveaux de l’aide et de mettre en place un soutien public suffisant pour générer des innovations et des expériences pilotes en Afrique, à l’échelon local et régional, en vue d’identifier les solutions les mieux adaptées aux différents climats africains.
Il ne faut cependant pas sous-estimer le triste héritage de décennies perdues de sous-investissement dans l’agriculture africaine, héritage qui se reflète dans les niveaux de pauvreté des pays les plus pauvres. Si dans son ensemble, le monde est en bonne voie de réaliser la première cible du premier Objectif du Millénaire pour le développement (OMD 1) – réduire de moitié le pourcentage de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour – c’est en grande partie grâce aux fantastiques progrès réalisés en Asie. En 25 ans, le taux de pauvreté est en effet passé de près de 60% à moins de 20% en Asie de l’Est12.
Il en va tout autrement de l’Afrique subsaharienne, où la situation s’améliore nettement plus lentement. Dans cette partie du monde, le taux de pauvreté général n’a diminué que de 7% – passant de 58 à 51% – entre 1990 et 2005. Et encore, cette amélioration masque des différences considérables d’un pays à l’autre. Ainsi, au Nigeria, le pourcentage d’habitants confrontés à la pauvreté a en fait augmenté de 56% entre 1990 et 2005. Une situation qui contraste avec celle d’autres pays, qui, comme le Kenya, ont réussi à la diminuer de 50%, au cours de cette même période13.
Malgré une réelle réduction de la pauvreté dans une grande partie des pays en développement, la faim continue de briser la vie de près d’un milliard d’habitants de la planète. La troisième cible de l’OMD 1 – réduire de moitié le pourcentage de personnes souffrant de la faim – encourt un risque sérieux de ne pas être atteinte du tout, et de nombreux pays sont déjà à la traîne vis-à-vis de cet objectif.
Ici encore, l’Afrique subsaharienne dans son ensemble est en queue de peloton, malgré des progrès réels dans de nombreux pays. Certes, depuis 2000, 17 pays d’Afrique subsaharienne ont ainsi enregistré une diminution d’au moins 30% des personnes souffrant de la faim. Mais selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 217 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne demeuraient sous-alimentés au cours de la période 2006-2008 14 – soit 27% de la population totale, plus d’une personne sur quatre – contre 31% entre 1990 et 1992. Ainsi, même si la situation s’est quelque peu améliorée, il est clair que nous devons faire beaucoup plus. Et sans attendre.
Car les conséquences de l’inaction sont terribles. La faim et la sous-alimentation touchent de manière disproportionnée les enfants, la malnutrition étant responsable de plus d’un décès sur trois parmi les 7,6 millions d’enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année. Plus de 2,5 millions de décès qui auraient de bien meilleures chances d’être évités si ces enfants avaient eu accès à une alimentation plus abondante et de meilleure qualité15.
Parmi ceux qui survivent, beaucoup souffrent de rachitisme, une conséquence de la malnutrition qui nuit de manière irréversible au développement de l’organisme et du cerveau. Selon les derniers chiffres de l’UNICEF, 29% des enfants des pays en développement souffrent de rachitisme. Et ce pourcentage atteint 38% en Afrique subsaharienne16.
Au vu de cette réalité, il est clair que des investissements tangibles et soutenus dans l’agriculture – la priorité étant aussi donnée à l’apport d’une alimentation suffisante aux enfants – auront un impact considérable sur la vie de millions de personnes, en les aidant à sortir de la pauvreté et retrouver le chemin de la prospérité par leurs propres moyens.
L’année 2012 offre une occasion unique de relever ces défis et de donner un dernier coup de collier pour réaliser les OMD à l’horizon 2015.
L’action doit avoir pour point de départ l’appropriation par les pays concernés. Comme l’énonce le premier des principes de Paris sur l’efficacité de l’aide, nous savons que les chances de succès sont plus grandes lorsque le monde s’unit derrière un leadership national efficace. ONE a identifié 30 pays à faibles revenus ayant mis en place des plans d’investissement dans l’agriculture approuvés à l’échelon international.
Ensemble, ces pays représentent environ 27% du total de 1,4 milliard de personnes vivant dans une pauvreté extrême et 90% des habitants les plus pauvres d’Afrique subsaharienne. Entièrement financés, ces 30 programmes nationaux d’investissement pourraient sortir quelque 50 millions de personnes de la pauvreté au cours des dix prochaines années17.
Parmi 30 pays, 18 ont également rejoint le mouvement SUN (Scaling Up Nutrition – Améliorer la nutrition), qui vise à soutenir les programmes nationaux de lutte contre la sous-alimentation. Ce mouvement rassemble un large éventail d’acteurs – gouvernements, société civile, secteur privé, instituts de recherche et Nations Unies – pour s’assurer de la disponibilité des ressources financières et techniques nécessaires à la concrétisation de ces plans.
Ces programmes sont prêts à être mis en œuvre par les gouvernements mais ont besoin de toute urgence d’un soutien et de ressources supplémentaires. Les 18 pays du SUN rassemblent 24% des enfants rachitiques dans le monde. Selon les estimations de ONE, si ces pays disposaient des ressources nécessaires pour déployer, dans le cadre de SUN, les plans nutritionnels nationaux approuvés ainsi que des investissements dans l’agriculture, ce sont 100 millions d’enfants en bas âge qui souffriraient moins de la malnutrition et 15 millions d’enfants de moins de cinq ans qui se verraient épargner les problèmes liés au rachitisme.
Rien qu’en Afrique, 31 millions d’enfants pourraient ainsi sortir de la pauvreté, et le rachitisme serait évité chez 12 millions d’autres enfants. Pour certains pays, les bénéfices seraient immenses. Il en va ainsi de l’Éthiopie qui, malgré de réels progrès sur le front de la famine, a essuyé une succession de crises alimentaires au cours de ces dernières décennies. Si ce pays disposait de ressources suffisantes pour mettre en œuvre son plan d’investissement pour l’agriculture, 3,1 millions de personnes de plus pourraient selon nous être sauvées de la pauvreté. Au Niger, actuellement confronté à des sécheresses et à des pénuries alimentaires, ce sont 2 millions d’habitants qui pourraient sortir de la pauvreté, soit près de 13% de la population.
L’analyse de ONE a toutefois mis en avant un manque criant de financements. À peine 50% de l’ensemble des fonds requis pour mettre en œuvre les plans d’investissement dans l’agriculture ont été identifiés. Soit un déficit d’environ 20 milliards d’euros qui doit être comblé d’ici à 2015. Ces plans devraient être financés par des contributions émanant des bailleurs de fonds, des gouvernements nationaux, du secteur privé et dans certains cas d’organisations non gouvernementales.
Selon ONE, financer toutes les interventions nutritionnelles requises pour prévenir le rachitisme chez 15 millions d’enfants dans les 18 pays identifiés nécessite la mobilisation de 5,2 milliards d’euros supplémentaires (6,9 milliards de dollars).
Les montants encore à financer pour la mise en œuvre des plans d’investissement nationaux pourraient être pris en charge principalement – et à part égale – par les bailleurs de fonds et les gouvernements nationaux, un rôle plus modeste mais non sans importance étant en outre confié au secteur privé et aux ONG.
Une part significative des montants nécessaires – environ 7% –, destinée à financer l’enrichissement en fer et en sel iodé des produits, doit être apportée par le secteur privé, en première ligne pour déployer ce type d’intervention essentielle contre les carences nutritionnelles18.
Ces investissements conjoints dans les plans de développement agricole et les interventions nutritionnelles peuvent avoir un impact significatif sur les taux globaux de pauvreté et la faim. Il importe toutefois de soutenir également les pays qui ne disposent pas d’un plan d’investissement national approuvé. Certains d’entre eux ont en effet besoin d’une aide pour développer leurs capacités et pouvoir ainsi formuler leurs propres plans d’investissement dans l’agriculture et plans d’action nutritionnels.
Le plan d’investissement national de Tanzanie
La Tanzanie compte environ 45 millions d’habitants, dont 74% vivent dans les zones rurales. Alors que son économie connaît une croissance soutenue depuis le début des années 1990, 42% des enfants de moins de cinq ans souffrent de rachitisme sévère ou modéré19.
En juillet 2010, la Tanzanie a signé un pacte dans le cadre du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Depuis, elle a élaboré un Plan d’investissement dans l’agriculture et la sécurité alimentaire de 10 ans surnommé Kilimo Kwanza en swahili (« l’agriculture d’abord »). L’objectif est de transformer le secteur de l’agriculture pour créer de la richesse, réduire la pauvreté et atteindre la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ce plan donne la priorité à la productivité agricole, au développement rural ainsi qu’à l’alimentation et à la nutrition.
D’après les estimations du gouvernement tanzanien, il faudra 6,2 milliards d’euros (8,3 milliards de dollars) pour mettre en œuvre ce plan au cours des 10 prochaines années, un montant de 2,5 milliards d’euros environ (3,3 milliards de dollars) étant nécessaire pour les cinq premières années. Or, le déficit de financement avoisine actuellement 750 millions d’euros (1 milliard de dollars).
L’analyse de ONE montre que, si la première phase du plan tanzanien était entièrement financée, le pays pourrait sortir 2,2 millions de personnes de la pauvreté au cours des 10 prochaines années – soit 5% de sa population actuelle.
La solution : un pacte pour la sécurité alimentaire et la nutrition
Changer les choses dans ces 30 pays exigera des investissements soutenus et une réelle volonté politique, les chefs d’État et de gouvernement des pays en développement et les partenaires de la communauté internationale pour le développement devront travailler main dans la main.
À cette fin, les dirigeants du monde entier doivent adopter un nouveau pacte pour la sécurité alimentaire et la nutrition en 2012. L’adoption d’un tel pacte et sa mise en œuvre rapide contribueront à mettre fin au cercle de la pauvreté et de la faim dans un grand nombre des pays les plus pauvres.
Ce pacte devra comprendre quatre volets, dont la mise en œuvre doit être coordonnée :
Une nouvelle initiative du G8 dans le domaine de la sécurité alimentaire
À la suite de la crise alimentaire mondiale qui a fait de la sécurité alimentaire une priorité d’action pour la première fois depuis des dizaines d’années, les chefs d’État et de gouvernement ont adopté l’Initiative de L’Aquila pour la sécurité alimentaire.
Cette initiative, décidée lors du sommet du G8 de 2008 en Italie, prévoit de stimuler les dépenses en faveur du développement agricole et de la sécurité alimentaire en affectant 16 milliards d’euros (22 milliards de dollars) sur trois ans à des programmes ciblés, alignés sur les principes de Rome pour une sécurité alimentaire mondiale durable. Les engagements financiers de l’Initiative de l’Aquila pour la sécurité alimentaire prennent fin cette année.
Si elle a permis de renforcer la visibilité de l’agriculture et de la sécurité alimentaire dans l’agenda politique et d’accroître l’aide au développement dans le secteur, la mise en œuvre de l’initiative de L’Aquila se heurte néanmoins à de sérieuses lacunes. Elle ne se fixe pas, en effet, d’objectifs à atteindre, se contentant de se concentrer sur les contributions, et ne met pas suffisamment l’accent sur les plans conçus par les pays. En outre et de manière cruciale, l’initiative n’a pas mis l’accent sur la transparence et ne permet donc pas d’en appeler correctement à la responsabilité des bailleurs de fonds.
Les progrès restent donc insuffisants. Comme ONE l’a identifié l’année dernière dans son rapport sur la redevabilité, 22% seulement des sommes promises avaient été engagées en mai 2011 et les pays ont enregistré des résultats mitigés en ce qui concerne les objectifs qualitatifs. Même s’il reste du temps, plusieurs donateurs ne respecteront probablement pas entièrement les promesses de financement auxquelles ils s’étaient engagés. Cette situation montre à quel point l’on néglige cette approche essentielle qui permettrait de sortir de la pauvreté et remettre sur la voie de l’autosuffisance et de la prospérité de nombreux habitants parmi les plus pauvres de la planète.
Mais nous pouvons encore inverser la tendance. Le Sommet du G8 de 2012 nous offre l’occasion unique de soutenir un pacte mondial pour la sécurité alimentaire en adoptant une initiative nouvelle et améliorée qui fasse suite à celle de L’Aquila, tout en s’engageant à honorer d’ici à la fin de l’année les promesses financières passées. Les chefs d’État et de gouvernement doivent assortir cette nouvelle initiative de résultats à atteindre et d’objectifs précis en matière de réduction de la pauvreté et de la malnutrition infantile.
Cet accord doit impérativement donner la priorité à l’amélioration de l’appropriation par les pays et se fixer des résultats à long terme en matière de développement. L’appropriation revêt une importance particulière en matière agricole. En effet, le sol, le climat, les ressources et les capacités varient à ce point d’un pays à l’autre qu’une approche globale indifférenciée ne saurait être efficace. Les solutions et les connaissances locales sont donc d’une importance fondamentale dès lors qu’il s’agit de prendre les bonnes décisions en matière de développement agricole et de sécurité alimentaire.
Le pacte devrait inclure un engagement ferme à dégager au moins 9 milliards d’euros de fonds supplémentaires20 (12 milliards de dollars) pour les 30 plans d’investissement nationaux mis en œuvre jusqu’en 2015 afin de remédier au déficit de financement.
L’initiative doit également :
- Identifier des objectifs et des résultats ciblés précis pour réduire la pauvreté et le rachitisme, assortis d’indicateurs mesurables
- Soutenir les petits producteurs et les femmes producteurs, les approches agricoles durables, l’accès au marché durant toute l’année et des solutions éprouvées pour réduire la malnutrition infantile
- Accorder une plus grande place au leadership africain et veiller à encourager la coopération entre les bailleurs traditionnels, les donateurs non traditionnels et les bénéficiaires dans le cadre d’un échange de connaissances et d’expériences
- Intégrer des mesures efficaces pour améliorer la transparence et la traçabilité et mettre en place un mécanisme indépendant pour le suivi et l’évaluation
- Réaffirmer les principes de Rome et les améliorer
- En définissant clairement tous les engagements, en identifiant à chaque fois des actions spécifiques et mesurables
- En alignant chaque action sur des indicateurs consensuels pour la mesure des progrès
- En assurant la parfaite transparence de toutes les dépenses, interventions et réunions
Relancer les engagements de Maputo
Les gouvernements des pays en développement ont un rôle crucial à jouer dans les efforts de lutte contre la pauvreté, la faim et la malnutrition. En 2003, les membres de l’Union africaine (UA) ratifiaient la Déclaration de Maputo sur l’agriculture et la sécurité alimentaire et promettaient d’affecter 10% de leur budget national à l’agriculture et au développement rural.
Si certains pays ont réalisé cet objectif, beaucoup sont loin de l’avoir atteint. En Afrique, les dépenses se sont élevées en moyenne à 6,4% entre 2003 et 2009 – environ un tiers du pourcentage affecté à ces secteurs par de nombreux pays asiatiques durant la révolution verte21.
À la veille du 10e anniversaire de la Déclaration de Maputo en 2013, les gouvernements africains doivent saisir l’occasion de renouveler leur engagement à investir dans l’agriculture et le développement rural pour se rapprocher des objectifs convenus en 2003.
Il convient aussi de définir clairement ce qu’on entend par investir dans l’agriculture et le développement rural. Le Sommet du Malawi de juin 2012 offre à l’Union africaine un point de départ pour relancer ces engagements et fixer, pour chaque pays, un calendrier concret d’objectifs à atteindre. Il est également essentiel que les membres de l’UA redoublent d’efforts pour améliorer la transparence et la qualité des dépenses gouvernementales.
Une partie de la solution consiste à prendre des mesures concrètes pour améliorer le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), une initiative menée par l’Afrique qui vise à aider les pays à développer et à mettre en œuvre leurs plans d’investissement nationaux. Les dirigeants de l’UA peuvent améliorer le PDDAA en veillant à
- Adopter des pactes régionaux qui promeuvent l’intégration régionale et éliminent les obstacles transfrontaliers au développement initié par le secteur de l’agriculture
- Tenir compte du rôle essentiel des femmes et de leurs besoins en les intégrant dans le processus d’élaboration des politiques
- Privilégier la responsabilité mutuelle dans les plans et les procédures du PDDAA afin d’écouter et de tenir compte de l’avis des citoyens
- Promouvoir la participation à part entière et efficace des acteurs non étatiques, comme la société civile, les ONG et le secteur privé, dans le processus du PDDAA – de la conception à l’évaluation en passant par le suivi – afin que les plans répondent aux besoins de toutes les parties prenantes.
En œuvrant de concert de façon à affecter davantage de ressources domestiques aux investissements efficaces et intelligents dans l’agriculture, il est possible de transformer fondamentalement la vie de millions de citoyens africains tout en contribuant à stimuler la croissance économique.
Galvaniser les investissements durables du secteur privé
Le secteur privé a un rôle vital à jouer dans les efforts visant à encourager la croissance, créer des débouchés et améliorer la sécurité alimentaire. Ces investissements doivent concerner l’ensemble du secteur africain de l’agriculture et mettre en particulier l’accent sur l’amélioration des semences et des engrais, des pratiques agricoles, du stockage, du traitement, de la distribution et de la commercialisation. Il est dès lors essentiel de consentir tous les efforts possibles pour exploiter pleinement les sources de financement privées.
Les gouvernements africains doivent quant à eux s’atteler à attirer des investissements privés pour exploiter pleinement l’incroyable potentiel de l’agriculture. À cette fin, les dirigeants africains peuvent élaborer des politiques et adopter une réglementation destinés à améliorer le climat des affaires tout en préservant les droits fonciers des petits agriculteurs ainsi qu’en développant et en améliorant les infrastructures de transport, de télécommunications, d’énergie et d’approvisionnement en eau.
Les gouvernements africains et leurs partenaires de développement doivent aussi donner la priorité à l’intégration régionale et aux infrastructures des régions rurales. L’amélioration des routes principales et des liaisons de transport transfrontalier, mais aussi des contrôles plus efficaces aux frontières, permettront de favoriser les échanges, d’accroître les recettes à l’exportation et d’améliorer les revenus. L’idée est également de garantir une répartition plus équilibrée des produits alimentaires, en réduisant le risque que des familles vivant de tel côté de la frontière soient confrontées à des pénuries alimentaires alors que de l’autre côté de la frontière, les stocks sont largement suffisants.
En outre, il convient de mobiliser davantage les fonds d’investissements gérés par le secteur privé qui sont spécialisés et s’étendent à tout le secteur agricole africain. Les garanties de prêt et les « mécanismes incitatifs » devraient également être utilisés pour relancer l’innovation agricole. La fenêtre « secteur privé » du Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (PMASA) est un autre mécanisme important. Il vise à octroyer des prêts à court et à long terme, des garanties de prêts et des capitaux en vue d’améliorer les possibilités commerciales des exploitations agricoles de petite et moyenne taille et des petits agriculteurs, en les reliant aux chaînes de valeur locales, nationales et internationales.
Lutter contre les problèmes structurels et la volatilité des prix
À la base de tout effort visant à améliorer la sécurité alimentaire et réduire la faim, il doit y avoir une volonté commune de remédier à la volatilité des prix des denrées alimentaires que nous connaissons depuis quelques années. Depuis la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, qui a fait flamber le prix des denrées alimentaires de base, les prix alimentaires sont restés élevés et imprévisibles. Cette situation pèse de manière disproportionnée sur les plus pauvres de la planète, contraints de consacrer une plus grande partie de leurs revenus à l’achat de denrées alimentaires.
Selon la Banque mondiale, 44 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté entre juin 2010 et avril 2011 suite à la flambée des prix22. Toujours selon la Banque mondiale, une augmentation de 10% de l’indice des prix des denrées alimentaires pourrait faire sombrer dans la pauvreté 10 millions de personnes de plus. Dans le cas d’une augmentation de 30% de l’indice, ce sont 34 millions de personnes courant un risque accru de pauvreté.
Les chefs d’État et de gouvernement doivent de toute urgence s’attaquer aux causes de la volatilité du prix des denrées alimentaires. Ici également, l’année 2012 leur donne une réelle chance de s’y employer.
Le Président mexicain Calderon a en effet fait de la sécurité alimentaire l’un des cinq piliers clés de sa présidence du G20 cette année. Le Mexique peut ainsi devenir un champion du contrôle des prix des denrées alimentaires en incitant tous les membres du G20 à adhérer au Plan d‘action sur l’agriculture lancé l’année dernière à Cannes, lors du Sommet du G20, et à réaliser toutes les réformes du marché financier adoptées et recommandées par le Conseil de stabilité financière. Les dirigeants doivent en particulier autoriser les régulateurs à limiter les positions sur les produits alimentaires avant qu’une crise n’éclate.
L’Union européenne doit, pour sa part, s’engager à mettre en place un organisme de régulation d’envergure et de compétences identiques ou supérieures à celui des Etats-Unis, la US Commodities Futures Trading Commission (CFTC). Cet organisme aurait pour mission d’analyser l’évolution des marchés et de prendre les mesures nécessaires pour éviter tout dérèglement, telle qu’une flambée des cours des denrées alimentaires.
Conclusion
En 2012, nous allons avoir la chance d’ouvrir un nouveau front dans la lutte contre la faim et l’extrême pauvreté, un combat que nous pouvons gagner, nous le savons. Dans de nombreuses régions du globe, de formidables avancées ont déjà été réalisées. Le moment est venu à présent de recentrer nos efforts sur les pays qui sont sur le point de réaliser des progrès similaires. Comme le montre l’analyse de ONE, des avancées considérables sont possibles dans les 30 pays qui disposent déjà de plans d’investissement. Ces pays sont prêts à relever le défi. Nous savons ce qu’il faut faire pour que ces efforts se concrétisent. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est que le monde politique s’engage.
Ne pas agir pourrait avoir des conséquences qui se feront sentir durant les prochaines décennies. Si nous n’agissons pas, de trop nombreux pays resteront pris au piège dans le cercle vicieux de la pauvreté et de la faim. Si nous n’agissons pas, des millions d’enfants souffriront à leur tour de rachitisme et subiront des dommages irréversibles. Si nous n’agissons pas, des millions de familles ne pourront sortir de l’extrême pauvreté à laquelle elles sont confrontées, et elles continueront à dépendre de l’aide extérieure alors qu’elles pourraient subvenir elles-mêmes à leurs besoins. Il nous faut éviter cela !
Notes
Note méthodologique (format PDF)
2. Chen et Ravallion, The developing world is poorer than we thought, but no less successful in the fight against poverty, Rapport de recherches sur les politiques, Banque mondiale, 2008.
3. FAO, L’état de l’insécurité dans le monde : combattre l’insécurité alimentaire lors des crises prolongées, 2010.
4. Banque mondiale, Repositioning Nutrition as Central to Development: A Strategy for Large-Scale Action, 2006.
6. Le présent document se base sur des calculs explicités dans la note méthodologique disponible en ligne à l’adresse
7. Banque mondiale, L’agriculture au service du développement, Rapport sur le développement dans le monde, 2008.
7. Les calculs des auteurs sont basés sur les données de FAOSTAT sur la production de blé en Inde entre 1961 et 2010. Données disponibles sur http://faostat.fao.org/site/567/default.aspx#ancor (mars 2012)
8. IFPRI, Millions Fed: Proven Successes in Agricultural Development, Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, 2009
9. Les chiffres de l’APD téléchargés à partir de la base de données SNPC-OCDE (mars 2012) montrent que l’APD pour l’agriculture est passée de 3 086 milliards d’euros (4,115 milliards de dollars) en 1988 à 866 milliards d’euros (1,155 milliard de dollars) en 2003 (à prix constants de 2009)
10. Fan, Omilola et Lambert, Public Spending for Agriculture in Africa: Trends and Composition, ReSAKSS Document de travail n° 28, avril 2009
12.Système régional d’analyse stratégique et d’appui à la connaissance, accessible via le lien: http://www.resakss.org/ (mars 2012)
13 Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, Statistiques de sécurité alimentaire : Prévalence de la sous-alimentation dans la population totale, octobre 2011
15. UNICEF, Child Info: Monitoring the Situation of Children and Women, Child Nutrition Statistics, mise à jour janvier 2012, accessible via le lien : http://www.childinfo.org/undernutrition_status.html (mars 2012)
16. Le calendrier exact variera d’un pays à l’autre en fonction de la rapidité de la mise à disposition des fonds et du type d’investissement. Des véhicules tels que le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (PMASA/GAFSP) pourraient permettre de canaliser les fonds et d’en accélérer la mise en œuvre.
17.Dans Scaling Up Nutrition: What Will it Cost? (Améliorer la nutrition : quel en sera le coût), la Banque mondiale estime à 7% la contribution à apporter par le secteur privé sous la forme d’un enrichissement en fer et en sel iodé, sur la base du paquet d’interventions de la phase 1.
18. Statistiques de l’UNICEF, accessible via le lien : http://www.unicef.org/infobycountry/tanzania_statistics.html (mars 2012)