En février 2012, une taxe sur les transactions financières (TTF) a été adoptée par l’Assemblée Nationale, suite à une proposition de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. La TTF est un prélèvement sur les opérations de ventes d’actions. Cela consiste à prélever un pourcentage d’une transaction réalisée entre les institutions financières sur le marché secondaire. Les produits concernés sont uniquement les actions, et non la totalité des transactions effectuées sur les marchés (comme les obligations ou les produits dérivés). Le prélèvement, de l’ordre de 0,3 % de la valeur d’acquisition, concerne toutes les entreprises dont le siège social se situe en France et dont la capitalisation boursière excède le milliard d’euros. Cet impôt est particulier puisqu’il a été créé notamment pour dégager des ressources financières additionnelles pour la solidarité internationale. Lors de son discours au sommet du G20 de 2011, Nicolas Sarkozy appelle en effet le secteur financier à contribuer à la relance des pays en développement : “Parce que qui doute qu’une taxe qui permettra de financer les enjeux de développement contribuera à la croissance mondiale ? Donc à la fois pour des raisons morales, si ce mot a un sens, en tout cas pour ceux à qui je m’adresse, que pour des raisons d’efficacité et d’intérêt, tout le monde devrait être pour la taxe sur les transactions financières.”
Il faut savoir qu’une trentaine de pays dans le monde ont aujourd’hui une TTF, y compris les grands centres financiers comme le Royaume-Uni, Hong Kong, Singapour et la Suisse. Au sein de l’Union européenne, six autres États-membres ont également une TTF : la Belgique, la Finlande, l’Irlande, l’Italie, la Pologne et l’Espagne
Taxe sur les transactions financières : définition historique
La TTF a dans un premier temps été imaginée par l’économiste James Tobin, qui imaginait déjà un usage de ses recettes pour la solidarité internationale. Avec l’explosion des transactions boursières mondiales, dont le montant a été multiplié par 300 en 40 ans, le secteur financier s’impose comme l’un des principaux bénéficiaires de la mondialisation. Suite à la crise de 2008, l’explosion de la bulle spéculative a alerté sur l’impératif que ces transactions n’échappent plus à l’impôt mais fassent l’objet d’une régulation. C’est un outil qui vise à taxer, de façon très faible, le secteur financier, grand gagnant de la mondialisation, pour le mettre à contribution de la lutte contre l’extrême pauvreté et auprès des “perdants” de la mondialisation, soit les populations vulnérables des pays en développement.
À sa création en France, la taxe sur les transactions financières avait un objectif double : prévenir les conséquences désastreuses de la spéculation et dégager de nouvelles ressources pour l’aide publique au développement (APD). Ainsi, la TTF est surnommée « la taxe robin des bois ». Elle s’affirme comme un instrument de redistribution des « richesses abusives » du Nord vers les populations des pays à faible revenu. Outre la France, cette taxe était également en discussion au niveau de l’Union européenne à partir de 2011, puis ensuite au niveau de 11 pays européen dans le cadre du mécanisme de coopération renforcée : la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, le Portugal, la Slovénie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, l’Estonie et la Slovaquie. Malheureusement, ces négociations n’ont jamais abouti car aucun compromis sur les modalités de taxations (assiette, taux) n’a pu être trouvé entre les différents pays. La France s’est notamment opposée à la taxation des produits dérivés, ce qui limitait considérablement l’ambition du projet.
En France, le produit de cette taxe est affecté à 25 % au financement de l’aide au développement (en 2023). Elle a pendant longtemps été utilisée pour combler les coupes successives portées aux crédits budgétaires de la mission APD. Ce n’est plus le cas depuis 2017, même si depuis 2019 une part moins importante de ses revenus est allouée à l’APD (25 % au lieu de 50 % précédemment).
Quelles applications concrètes pour la TTF ?
Concrètement, en 2022, on dénombre 145 entreprises françaises concernées par la taxe sur les transactions financières.
Cette TTF ne taxe donc pas l’économie réelle, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas les ménages ni l’immense majorité des entreprises, elle vise à taxer le secteur financier. Par contre, elle permet d’améliorer le bon fonctionnement de l’économie réelle en décourageant la spéculation financière court terme et attache ainsi davantage les investisseurs aux performances de long terme des entreprises dans lesquelles ils investissent. Cette taxe est par ailleurs soutenue par les plus grands économistes dans le monde entier.
Quel est le bilan à date pour la TTF ?
Chaque année, la taxe sur les transactions financières fait l’objet d’un consensus sur son objectif politique : celui de corriger l’ampleur des inégalités dues à la mondialisation grâce à un instrument de justice fiscale faisant participer de façon minime le secteur financier.
La TTF est donc une taxe qui sauve des vies. Depuis sa création, la TTF française alimente les efforts de l’aide publique au développement (APD) de la France.
Depuis 2019, les prévisions de recettes de la TTF ont doublé pour atteindre plus de 2,2 milliards d’euros, mais il est primordial de la renforcer au niveau français comme européen afin de lutter efficacement contre les inégalités d’accès aux services sociaux de base, les pandémies ou encore les effets du dérèglement climatique.
La TTF est la taxe financière la plus importante pour le travail de ONE. Elle représente une contribution minime pour le secteur financier, un secteur peu taxé, mais peut jouer un rôle déterminant pour le financement du développement. Pourtant elle pourrait dégager des sommes financières très importantes pour la lutte contre les inégalités mondiales. D’après un rapport publié par l’économiste Gunther Capelle-Blancard en mai 2023, une TTF appliquée aux pays du G20 pourrait rapporter entre 156 et 260 milliards d’euros chaque année, en fonction de son taux (0,3 % comme en France ou 0,5 % comme au Royaume-Uni).
Quelles sont les critiques à l’encontre de la TTF ?
ONE se bat depuis longtemps pour que cet outil soit mieux utilisé pour financer la solidarité internationale. Le monde financier se nourrit des crises internationales : les recettes de la TTF ont augmenté de 50 % depuis 2019, sans qu’aucune de ces augmentations ne permette de financer l’effort commun de stabilisation du monde, objectif pourtant à l’origine de la création de cette taxe. La TTF serait donc plus pertinente si le gouvernement décidait de la renforcer (en augmentant son taux ou en élargissant son assiette) et d’allouer la totalité de ses revenus à l’APD.
Comment aller vers une taxe sur les transactions financières plus ambitieuse afin d’aider les pays les plus pauvres?
Plusieurs propositions d’optimisation de la TTF existent. La plus courante est celle concernant le taux de l’impôt. En effet, de nombreux parlementaires sont mobilisés pour la hausse du taux de la TTF, de façon à pouvoir se donner de vrais moyens en faveur de l’aide au développement ou encore de la lutte contre les effets du dérèglement climatique par exemple. Ainsi, en passant de 0,3 % à 0,4%, les recettes produites par la TTF pourraient augmenter de près d’un tiers. Certains pays appliquent d’ailleurs un taux plus élevé que la France : au Royaume-Uni, le taux est de 0,5 %.
Il est important de noter que depuis sa mise en place en 2011, avec le recul d’une décennie, la TTF française ne s’est toujours pas rendue responsable d’une quelconque baisse de l’attractivité de la place financière de Paris. Aucune fuite vers d’autres centres financiers – ni des transactions, ni des opérateurs – n’a été démontrée à la suite de sa création, et ce malgré l’augmentation progressive du taux de taxation de 0,1% à 0,3%. Le Gouvernement reconnaît d’ailleurs lui-même que cette taxe dégage des rendements significatifs sans provoquer de perturbations importantes des marchés concernés, de perte d’attractivité de la place de Paris ou d’impacts négatifs sur le financement de l’économie française.
Ensuite, il faut la rendre plus efficace afin de dégager encore plus de ressources et de limiter les pratiques spéculatives les plus dangereuses sur le marché. La TTF pourrait en effet permettre de limiter la spéculation intensive sur les marchés financiers. Aujourd’hui, une personne qui achète des actions le matin et les revend avant la fermeture de la bourse n’est pas taxée. Les transactions intra-journalières (ce qu’on appelle aussi “l’intraday”) ne sont donc pas taxées. Ce sont pourtant les transactions les plus spéculatives. Ce trading à haute fréquence représente également une part importante des transactions mondiales : on estime aujourd’hui que près de 70 % des transactions sont intra-journalières. En encadrant plus précisément les transactions financières, on améliore la transparence des marchés et on contribue à lutter contre les nombreuses crises financières comme celle de 1929 ou encore celle de 2008.
Enfin, il s’agit d’optimiser l’affectation des sommes collectées via la TTF ainsi que leur utilisation. Aujourd’hui, un montant de 528 millions d’euros est systématiquement attribué à l’aide au développement, soit environ 25 % de ce que la TTF rapportera en 2023. Il est primordial de pouvoir accroître la part des fonds allouée à la solidarité internationale et à la lutte contre le dérèglement climatique. Emmanuel Macron a indiqué vouloir aller encore plus loin et allouer 100% de ses recettes à l’APD européenne dans son discours de la Sorbonne en 2017 : “Prenons cette taxe, généralisons-la au niveau de l’Europe et je suis prêt, je suis même volontaire pour en donner l’intégralité des ressources à l’aide publique au développement européenne”[1].
ONE demande donc à ce que 100 % des recettes de la TTF soient allouées à l’APD.
Cette affectation à 100 % permettrait notamment à la France de maintenir son ambition d’allouer 0,7 % de son RNB à l’APD en 2025 et de présenter une trajectoire financière claire pour parvenir à cet objectif, deux demandes phares de ONE.
ONE demande donc l’augmentation du taux de la TTF à 0,5 % (contre 0,3 % aujourd’hui), l’extension de son assiette aux transactions intra-journalières (le trading à haute fréquence) et l’allocation de la totalité de ses recettes à l’aide au développement. La lutte contre l’extrême pauvreté et le changement climatique nécessite en effet des moyens financiers extrêmement importants, qui n’ont cessé de s’accroître depuis la pandémie de Covid-19, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’inflation et les impacts du changement climatique.
L’extrême pauvreté augmente pour la première fois dans le monde depuis 30 ans, la faim dans le monde augmente pour la 6ème année consécutive et l’accès aux soins de santé de base et à une éducation de qualité recule. La France doit soutenir les pays pauvres face aux dérèglements dont nos économies sont les principales responsables. Avec une TTF mondiale appliquée à toutes les transactions, y compris intrajournalières, , les recettes collectées pourraient dépasser les 400 milliards d’euros par an pour financer un monde plus juste et plus durable pour les générations futures !
Face à cette situation, la totalité des outils à notre disposition doit être utilisée, et il serait contradictoire de ne pas mobiliser davantage une taxe créée pour financer la solidarité internationale pendant une des crises les plus préoccupantes des dernières décennies.