Marine Le Pen n’a pas répondu aux sollicitations des différentes ONG de solidarité internationale qui l’ont interpellée pendant la campagne présidentielle, y compris celles de ONE. Nous avons cependant pu analyser son programme et ses prises de positions publiques sur la question de la lutte contre l’extrême pauvreté et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Nous détaillons ci-dessous les 5 mesures qui sont problématiques selon notre ONG.
1/ L’aide publique au développement est perçue et utilisée comme un outil de chantage
Marine Le Pen souhaite faire en sorte que les pays qui refusent le renvoi de leurs ressortissants sur leur territoire ne reçoivent plus « un centime » de l’aide au développement, mais elle a aussi appelé la France à couper son aide au Mali suite au renvoi de l’ambassadeur français début février. Ces deux exemples montrent qu’elle considère que l’aide publique au développement (APD) doit servir les intérêts diplomatiques, sécuritaires et migratoires de la France. Or, cette conception dénature l’essence de cet outil de la politique de développement dont l’objectif est l’éradication de la pauvreté. Cela va à l’encontre des traités européens et de la loi française. Plusieurs études ont également prouvé que cela n’était simplement pas efficace.
En effet, l’article 208 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité de Lisbonne) affirme que l’objectif de l’APD est “la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté”. De même, l’article 1er de la Loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales stipule que la politique de développement a pour objectif premier «l’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, la lutte contre les inégalités, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition et l’action en matière d’éducation et de santé ». Selon le chercheur Jérôme Audran, l’allocation de l’APD à des fins de politiques migratoires ne permet pas de lutter efficacement contre l’extrême pauvreté et revient à “accentuer les inégalités socioéconomiques nationales et internationales”.
Une telle politique peut également aboutir à un non-respect des droits humains. C’est le cas lorsque les retours sont suivis de poursuites pénales, d’une mise en détention ou d’une situation où la vie de la personne renvoyée est mise en danger. De plus, certaines instances juridiques s’accordent à dire que les accords communautaires de réadmission portent atteinte aux règles du droit international sur l’asile, et en particulier au principe de non-refoulement, inscrit dans la Convention de 1951 sur les réfugiés et repris par la Convention européenne des droits de l’Homme.
Enfin, le conditionnement de l’APD est une mesure inefficace. Dans un rapport publié en novembre 2019, le PNUD affirme que “l’instrumentalisation de l’aide internationale au développement au profit d’objectifs purement politiques ne peut pas, dans la réalité, avoir d’effet à long terme sur les moteurs des migrations africaines irrégulières”. C’est aussi la conclusion de l’OCDE et du think tank européen ECDPM qui ont tous les deux étudiés des cas concrets de conditionnement de l’APD à d’autres fins que celle de lutter contre l’extrême pauvreté dans le monde.
2/ Toute politique extérieure se construit dans une optique d’intérêt national
Marine Le Pen indique très clairement que la politique de développement servira premièrement l’intérêt de la France. Ainsi, si elle soutient l’augmentation de l’APD pour atteindre les 0,7% du RNB, c’est avant tout pour lutter contre l’immigration de ressortissants des pays à faible revenu vers la France. Ce sont pourtant les populations aisées des pays pauvres qui ont les moyens de fuir leur pays : les populations les plus démunies sont souvent contraintes de subir les conflits, la violence et les persécutions. Les migrations sont des phénomènes naturels qui augmentent à mesure que les pays se développent et que les populations sortent de la pauvreté. Le développement des pays pauvres ne permettra donc pas de réduire les migrations, et une telle réduction ne devrait pas être un objectif. D’autre part, la politique d’aide au développement doit être désintéressée et avoir pour but l’amélioration du bien-être des populations des pays partenaires.
3/ Les freins de la propriété intellectuelle à la production mondiale de vaccins ne sont pas remis en cause
Marine Le Pen est contre la levée des brevets sur les vaccins COVID-19 par peur d’un manque de coopération des entreprises pharmaceutiques dans le futur si elles ne font pas de bénéfices. Pourtant, la levée des brevets sur la propriété intellectuelle n’empêchera pas les entreprises pharmaceutiques de faire des profits : elles pourront toujours vendre leurs vaccins et leurs traitements aux prix qu’elles auront choisi (ONE demande à ce que ces vaccins et traitement soient vendus à prix coutant en temps de pandémie afin que tout le monde puisse y avoir accès). Par contre, cela permettra aux pays en développement de produire leurs propres vaccins et ainsi d’augmenter la production mondiale : les vaccins ou traitements seront disponibles plus rapidement et sur toute la planète, ce qui améliorera considérablement notre capacité collective à faire face à la pandémie (et à celles qui suivront).
4/ La lutte contre les inégalités femmes-hommes dans le monde n’est pas un objectif
Marine Le Pen a régulièrement refusé de soutenir des initiatives permettant de faire avancer les droits des femmes en France, en Europe, et dans le monde. Elle a par exemple voté contre le renouvellement du plan d’action de l’Union européenne sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes dans le cadre de la coopération au développement en 2016 et contre la résolution du Parlement européen du 9 juin 2015 sur la stratégie de l’Union européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes après 2015. Elle a aussi été la seule candidate avec Eric Zemmour à ne pas s’engager à poursuivre une diplomatie féministe au service des droits des femmes et des filles dans le monde lors du Forum France International organisé en février dernier par L’institut Open Diplomacy.
5/ Le droit d’asile est mis en danger
Marine Le Pen prévoit d’imposer l’obligation de déposer les demandes de droit d’asile uniquement dans les ambassades et consulats à l’étranger, ainsi que la réévaluation périodique du statut de réfugié une fois accordé.
En accord avec la philosophie sous-tendant les Objectifs de développement durable, qui « visent à réaliser les droits de l’homme pour tous », notre organisation estime que les droits humains et la dignité humaine sont des principes « intégrés et indissociables » du développement durable. Le droit d’asile est un droit humain fondamental reconnu par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est aussi garanti dans le préambule de la Constitution française et dans la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 : il prévoit le droit absolu de toute personne d’accéder au territoire français pour y déposer une demande du statut de réfugié. Le programme de Marine Le Pen sur le droit d’asile est donc contraire au respect des droits humains.