47,4 millions de personnes supplémentaires dans le monde souffraient de la faim entre le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et juin 2022. En 2021, 193 millions de personnes avaient un besoin urgent d’aide alimentaire. Si cette population était un pays, ce serait le 8e plus grand au monde.
Depuis l’attaque de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, les prix des denrées alimentaires se sont envolés, aggravant la crise alimentaire existante. En mars dernier, l’indice des prix alimentaires de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré, augmentant de 30 % par rapport à l’année dernière.
Les problèmes d’approvisionnement liés au COVID-19, les mauvaises récoltes et le changement climatique ont contribué à faire de 2022 une année catastrophique dans le domaine de l’alimentation. L’invasion de Vladimir Poutine en Ukraine, s’ajoutant aux sécheresses en Afrique du Nord et de l’Est, à la canicule en Inde et aux conflits en Éthiopie, au Yémen et en Somalie, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
D’autres causes sont encore plus profondes. Des années d’augmentation de la demande sous l’effet de la croissance démographique et de la prospérité croissante en Asie se sont heurtées à une offre stagnante.
Les risques associés à la faim
La faim est l’indicateur de pauvreté le plus visible. Chacun·e d’entre nous partout dans le monde a besoin de nourriture pour vivre et être en bonne santé. Les dépenses en matière de nourriture sont prioritaires pour les familles. Ainsi, lorsqu’elles n’ont pas les moyens de se nourrir, c’est qu’elles sont en crise.
Lorsque l’on saute un repas, le corps commence à utiliser les graisses et les protéines stockées. Cela affecte notre niveau d’énergie et notre concentration, et peut nous conduire à devenir irritable, colérique et frustré. Après une semaine sans nourriture, le corps commence à transformer les graisses en cétones pour obtenir de l’énergie. Lorsque les réserves de graisse sont épuisées, le corps décompose les protéines présentes dans nos muscles. Nos yeux s’enfoncent et deviennent vitreux. La peau se relâche et devient pâle. Lorsque les protéines viennent à manquer, les organes essentiels cessent de fonctionner jusqu’à ce que le cœur s’arrête.
Une histoire qui se répète malheureusement 25 000 fois par jour…Une fois toutes les trois secondes.
La faim n’est pas seulement une question d’accès aux calories nécessaires à la survie, elle a également un impact sur le développement. Les micronutriments sont particulièrement importants pendant les 1 000 premiers jours de la vie, de la conception à l’âge de deux ans.
Un enfant ne recevant pas les bons nutriments dès le début de sa vie encourt un retard de croissance tout au long de sa vie, car certaines étapes pourtant cruciales au développement de son cerveau et de son corps ne se seront pas déroulées comme prévu. Les enfants souffrant d’un retard de croissance (plus petits que les autres pour leur âge) ont 19 % de chances en moins d’être capables de lire une phrase simple à l’âge de 8 ans et gagnent un salaire inférieur de 20 % à l’âge adulte.
Près d’un enfant sur trois souffre d’un retard de croissance en Afrique subsaharienne.
La baisse de la malnutrition en Afrique et en Asie permettrait d’accroître de 11 % la productivité économique globale des pays de ces régions.
Comment définit-on la faim ?
La faim est un terme générique utilisé pour désigner un certain nombre de choses différentes, ce qui peut prêter à confusion. Techniquement appelée insécurité alimentaire, le problème se divise en cinq catégories.
Première phase (phase minimale), les ménages parviennent à combler leurs besoins alimentaires et non alimentaires essentiels.
Dans la deuxième phase (phase stress), les ménages ont une consommation alimentaire minimale adéquate. Toutefois, ils ne peuvent se permettre certaines dépenses non alimentaires essentielles. En mai 2022, cela concernait 212 millions de personnes dans 39 pays.
Dans la troisième phase (phase crise), les ménages ont une consommation alimentaire insuffisante qui se traduit par une malnutrition aiguë grave ou inhabituelle, ou peuvent se permettre des dépenses alimentaires en vendant leurs biens. En mai 2022, cela concernait 111 millions de personnes dans 39 pays.
Dans la quatrième phase (phase urgence), les ménages ont une consommation alimentaire largement insuffisante qui se traduit par une malnutrition aiguë très élevée et une mortalité excessive. Ils peuvent parvenir à atténuer la gravité de l’insuffisance alimentaire, mais uniquement en vendant certains de leurs avoirs. En mai 2022, cela concernait 30 millions de personnes dans 33 pays.
Dans la cinquième phase (phase famine), la famine, la mort, la misère et des niveaux extrêmement critiques de malnutrition aiguë sont incontestables. En mai 2022, cela concernait 219 000 personnes dans 4 pays.
Qu’est-ce qui provoque la faim ?
En bref, la pauvreté. Lorsque la nourriture se fait rare en raison de mauvaises récoltes, d’une guerre ou d’autres chocs, les prix augmentent et les personnes sans ressources ne peuvent pas se permettre d’acheter de quoi se nourrir.
Les familles s’adaptent en mangeant moins, en consommant des aliments moins nutritifs, en retirant les enfants de l’école ou en vendant des biens de production – comme le bétail – qu’elles utilisaient pour gagner de l’argent. Cela peut réduire leur capacité de résistance à de futures crises alimentaires.
Les femmes mangent souvent “en dernier et le moins”, car elles donnent la priorité aux repas de leurs enfants ou sont confrontées à des normes culturelles qui privilégient les hommes.
Dans certains cas, les familles sont confrontées à des choix déchirants, comme marier un enfant pour augmenter leur sécurité alimentaire ou celle de leur fille. Les femmes peuvent également se retrouver à échanger des rapports sexuels contre de la nourriture.
Les ménages des pays à revenus faible et intermédiaire consacrent une part bien plus importante de leurs revenus à l’alimentation. Cela signifie que lorsque le coût de l’alimentation augmente, la charge pèse de manière disproportionnée sur les plus pauvres. Certaines personnes peuvent ne pas être en mesure de se le permettre.
Les conséquences de la guerre en Ukraine sur la faim
La guerre de la Russie en Ukraine n’a fait qu’accroître l’incertitude sur les marchés mondiaux des denrées alimentaires et des produits de base.
Les prix des huiles et des céréales ont augmenté de manière significative. Étant donné que le régime alimentaire des personnes les plus pauvres tend à être dominé par des denrées de base comme le blé et le maïs (plutôt que par la viande), elles sont plus vulnérables à ces chocs.
Les prix du blé et du maïs, qui sont des aliments de base dans de nombreux pays, ont plus que doublé depuis le début de la pandémie. Les prix de l’huile de tournesol et de l’huile de palme, utilisées pour la cuisine dans de nombreux pays, ont également doublé.
Mais certaines politiques gouvernementales ne font qu’aggraver la situation.
En réponse à la guerre de la Russie en Ukraine, 16 pays (contre 3 auparavant) ont imposé des restrictions à l’exportation de produits alimentaires à partir de début avril 2022. Ils représentent 17 % du total des calories échangées.
Pendant la crise alimentaire de 2008, des politiques similaires ont été à l’origine de 40 % des augmentations de prix.
Une foule affamée est une foule en colère
Bob Marley a dit qu’”une foule affamée est une foule en colère”. Historiquement, les augmentations significatives des prix des denrées alimentaires ont précédé des émeutes et des périodes d’instabilité.
Entre 2004 et 2012, les prix des denrées alimentaires sont montés en flèche. Au cours de cette période, 30 pays ont connu des troubles sociaux liés à l’alimentation.
L’insécurité alimentaire exacerbe également l’exploitation et les abus sexuels, en particulier dans les situations de conflit. À son tour, la violence sexiste entraîne une diminution de la production agricole et de la sécurité alimentaire – un cycle violent et toxique.
La faim entraîne également des déplacements de population. En Somalie, 245 000 personnes confrontées à la sécheresse ont fui depuis le début de l’année 2021. Ce chiffre pourrait passer à 1,4 million. Pour les femmes et les filles, cela entraîne un risque d’exploitation, d’abus et de traite.
Que doivent faire les pays pour remédier à cette situation ?
1. Les pays doivent éviter d’aggraver la situation.
- Poursuivre les interdictions d’exportation des principaux produits de base et éviter les achats de panique.
- Veiller à ce que les pays vulnérables aient accès aux engrais, même lorsque les prix augmentent.
- Financer intégralement les appels humanitaires d’urgence.
- Créer un “couloir humanitaire” dans la mer Noire pour faciliter les exportations de céréales depuis l’Ukraine.
2. Les pays devraient diriger les subventions et la protection sociale vers les plus vulnérables et soutenir les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire nécessaire à le faire.
- Respecter sans plus attendre l’engagement pris par le G7 et le G20 de recycler 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, fournis par le FMI, pour aider les pays à revenu faible ou intermédiaire à faire face à la crise.
- Fournir une solution efficace à la viabilité de la dette en bloquant le cadre commun du G20.
- Mettre en place des systèmes de protection sociale qui répondent aux chocs massifs et multidimensionnels tels que la sécheresse et l’insécurité alimentaire, y compris pour les personnes contraintes de fuir (réfugiés, personnes déplacées/apatrides, rapatriés).
3. Les pays doivent investir afin d’augmenter la production alimentaire.
- S’engager à effectuer des investissements à moyen terme pour stimuler la production – y compris des approches sensibles au genre en matière de propriété foncière, de services financiers et d’intrants agricoles.
- Mettre en place des mécanismes d’urgence capables de mettre des engrais à disposition des pays vulnérables, en veillant à une répartition égale entre les sexes, lorsque les prix augmentent de façon aussi considérable.