Olivier Nay est professeur de sciences politiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est chercheur au Centre européen de sociologie et science politique (CESSP). Ses travaux s’intéressent à la sociologie des institutions internationales. Il travaille tout particulièrement sur les organisations internationales et l’aide au développement. Il est également l’auteur d’une Histoire de des idées politiques (Armand Colin). Il a participé à la lutte contre le sida dans les années 2000, comme conseiller de l’UNESCO. Il est membre fondateur du think tank Santé mondiale 2030. Nous l’avons interviewé dans le cadre de notre initiative #PassTheMic.
Pourquoi une réponse mondiale au COVID-19 est-elle nécessaire selon vous ?
Tout d’abord, nous devons partir de plusieurs constats : les sociétés n’étaient pas prêtes à réagir face à la pandémie alors que les informations étaient disponibles et que des alertes précédentes (SRAS, ZIKA, Ebola) ont été nombreuses. Elles ont agi en ordre dispersé, sans aucune coordination et ont fait des choix très différents, même si le confinement a été la solution générale. Pourquoi les pays se sont-ils tournés vers des solutions nationales ? En raison de l’absence d’informations médicales fiables et partagées, et de la difficulté du système multilatéral et des institutions européennes à se montrer efficaces et faire preuve de leadership.
Une réponse mondiale est nécessaire pour des raisons sanitaires, pour la sécurité de tous et pour sauver des vies. Promouvoir la santé mondiale, c’est protéger la « sécurité humaine ». Le mot d’ordre est le suivant : la solidarité internationale n’est pas seulement une exigence éthique (aider les autres), c’est aussi un impératif égoïste (s’aider soi-même). Il faut aider les autres pour pouvoir s’aider soi-même car, lors d’une épidémie, on ne peut pas protéger sa propre santé indépendamment de celle des autres… Nous sommes tous membres d’une même famille biologique. Le propre d’un agent pathogène pour les humains, c’est qu’il ne connaît pas de frontières : il vit dans un écosystème qui est biologique, il circule librement par-delà les frontières !
La spécificité du COVID-19 n’est pas tant sa létalité (niveau de mortalité associé au virus), qui n’est pas particulièrement élevée (3%, soit légèrement plus élevée que la grippe), mais son aspect contagieux et invisible chez les personnes asymptomatiques. C’est pour cette raison qu’il s’est très vite répandu. Imaginons maintenant un virus particulièrement létal, contagieux et invisible… cela est possible.
Une réponse mondiale est donc nécessaire pour la résilience économique et pour des raisons techniques. De multiples pays sont affectés, or l’effort financier n’est pas à la mesure d’un seul pays ! Il faut des milliards d’euros pour financer la recherche et le développement (R&D) de vaccins, or de nombreux pays n’ont aucun moyen. De même, il faut des structures de coordination et d’acheminement internationales pour s’assurer que les produits médicaux, les médicaments et les connaissances arrivent dans tous les pays. Ces structures existent (FMST, GAVI, UNITAID…), il faut simplement les financer.
Selon vous, quelles sont les priorités en matière de réponse mondiale ?
Une initiative de réponse en faveur d’une santé mondiale a été lancée avec Access To Covid-19 Tools Accelerator, ou ACT-A. Cette initiative s’axe autour de 3 priorités complémentaires afin de développer les :
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- Capacités de dépistage, à savoir les tests diagnostiques qui sont décisifs pour reconnaître les personnes infectées
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- test virologiques : dépistage de l’agent infectieux (personnes porteuses)
- test sérologiques : dépistage des anticorps (personnes potentiellement immunisées)
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- Capacités de traitement, c’est-à-dire les réponses thérapeutiques pour permettre à ceux qui sont infectés de survivre à la maladie
- Vaccins pour se prémunir sur le long terme de toute infection
Mais faisons attention ! Les réponses technologiques et biomédicales sont, certes, nécessaires mais ne sont pas suffisantes pour répondre à la pandémie. Elles doivent aussi prendre en compte des données éthiques, sociales et politiques. La réponse doit être juste et équitable, elle doit tenir compte des besoins particuliers de certains groupes plus exposés ou plus fragiles. Dans les épidémies, il y a toujours des « groupes vulnérables ». Dans le cas du COVID-19, la vulnérabilité est non seulement biologique (personnes âgées, maladies, comorbidités telles que le diabète, l’obésité, l’hypertension, etc.) mais également sociale : plus les personnes sont pauvres, plus elles sont exclues/éloignées des services de santé, plus la promiscuité sociale est grande en raison de logements exigus, et moins la compréhension est bonne car ces personnes sont souvent moins bien éduquées ou n’ont pas accès à l’information. Les personnes pauvres se tournent vers des priorités de survie et les poussent vers des activités qui les exposent davantage que les personnes riches (ce qu’on pourrait qualifier de « comportements à risque »).
La réponse ne doit pas non plus être « verticale », elle doit au contraire associer les populations et défendre la « démocratie sanitaire ». On ne peut avoir des résultats de santé publique qu’en associant les personnes, les communautés et les organisations de la société civile. On a trop souvent tendance à privilégier les choix politiques et les réponses biomédicales. Certes, sans politique, pas de choix collectif. Certes, sans hôpital, pas de soins ; c’est évident. Mais la bonne réponse est dans la possibilité, pour les populations, de bien comprendre les problèmes de santé pour bien se protéger. Par exemple, c’est en apprenant l’hygiène qu’on se protège des microbes, pas en allant voir le médecin !
Il faut donc inclure au maximum les populations, les associations locales, les acteurs sociaux, les médiateurs de savoir sur le terrain, les ONG, au niveau local dans une optique de responsabilisation individuelle et collective, et d’inclusion dans les stratégies de réponse au risque sanitaire. Ce sont les enseignements que nous avons tirés des précédentes pandémies, comme le sida par exemple.
En santé, la solidarité, ça marche ! Les réponses sanitaires qui ont démontré leur efficacité avaient comme dénominateurs communs l’inclusion, la participation et la responsabilisation. C’est uniquement en renforçant la résilience sociale que nous pourrons mettre fin à cette pandémie.
La réponse à la pandémie doit aussi prendre en compte les fragilités particulières des pays du Sud car leur vulnérabilité principale est la pauvreté. Les systèmes de santé y sont fragiles : il faut les soutenir afin de permettre la continuité des soins et le maintien des actions sur les autres maladies. Il ne faut pas que la mobilisation sur le COVID-19 se fasse au détriment des autres maladies (on parle de risque d’effets d’éviction), telles que le paludisme, la tuberculose ou Ebola.
Pour toutes ces raisons, il faut :
- Considérer la santé comme un « bien public mondial » , en se libérant des règles classiques du marché et notamment de la logique des brevets et des droits de la propriété intellectuelle.
- Rendre les médicaments accessibles à tous, sans condition, et à des prix abordables. Il a été expressément demandé, lors de la dernière conférence ACT-A que, lorsqu’un vaccin sera trouvé, il soit accessible au plus grand nombre.
Quels sont les risques que vous identifiez en cas d’absence de réponse mondiale coordonnée ?
Les politiques unilatérales, l’absence de coordination, l’incapacité à coopérer représentent un risque pour tout le monde. Les défaillances dans un pays affectent tous les autres. L’histoire récente a montré que les gouvernements de grands pays pouvaient mettre en danger non seulement leur propre population, mais aussi d’autres populations en réduisant les capacités de réponse internationale. Par exemple, le fait que les États-Unis arrêtent de financer l’OMS, que la Chine a refusé de partager des informations, ou que le Brésil nie l’épidémie représentent des risques collectifs.
Les épidémies peuvent aussi favoriser les populismes et réduire les libertés dans les pays. La peur conduit les populations à accepter des restrictions de leurs propres libertés et à renoncer à leurs valeurs démocratiques.
Nous faisons également face à une tentation de repli national. Selon des enquêtes récentes, la pandémie provoque une montée de sentiments anxiogènes et la méfiance s’installe à l’égard de l’UE et de l’étranger : 70% des populations sont favorables à un retour à l’État, à un renforcement des frontières et à un contrôle sanitaire des migrants (CEVIPOF). Or, cela n’est qu’une illusion de la « souveraineté sanitaire » (c’est-à-dire de l’autonomie des réponses). Il est vrai qu’une gestion nationale en matière d’approvisionnement en médicaments, réactifs et matériels médicaux est importante mais l’idée de souveraineté est dangereuse car on ne peut pas penser la réponse aux épidémies uniquement sous l’angle de la réponse nationale !
Qu’est-ce qui vous permet de rester optimiste ?
Beaucoup pensent à la « société de l’après ». La crise fait marcher l’imaginaire et nourrit de grands espoirs. Mais attention : c’est une illusion d’imaginer que « tout sera différent » parce que « tout s’est arrêté ». L’économie repartira car les vies individuelles sont dépendantes du travail.
Pour autant, la profusion des réflexions montre que les esprits sont prêts à changer beaucoup de choses. La peur peut immobiliser, figer la société, mais elle peut aussi être un facteur de prise de conscience des limites des modèles de vie hérités de la société industrielle. Elle peut aussi être génératrice d’action pour une transformation importante des systèmes sociaux et économiques.
La réponse viendra très probablement de la jeunesse, déjà très mobilisée sur les questions climatiques. De nombreux enjeux sont sur la table : relocaliser les activités, repenser l’utilité sociale des métiers, renouer avec des services publics de qualité, redonner au politique les leviers d’action qu’il a volontairement abandonnés en suivant l’idéologie selon laquelle le marché est nécessairement plus vertueux, considérer la valeur de la solidarité face à l’individualisme et l’éthique de la performance.
Mais l’enjeu principal est qu’on ne peut plus vivre en estimant que l’humanité est indépendante de l’environnement dans lequel elle vit. L’économique et le social sont indissociables du sanitaire et de l’environnemental. Il faut renouer avec notre environnement naturel car il y a un lien évident entre les enjeux environnementaux et sanitaires. Il faut sortir d’une vision anthropocentrée du développement des sociétés.
La prise de conscience sur le climat et la biodiversité est lente car les opinions publiques ne vivent pas ces crises directement, intimement. Elle reste une affaire de « citoyens éclairés », de jeunes gens éduqués. Le COVID-19, en revanche, est vécu frontalement dans nos vies sociales et au plus intime (en soi), par tout le monde, sur toute la planète. Cela nous fait prendre conscience de notre finitude. On peut espérer que la pandémie accélérera la prise de conscience des dégâts que le modèle de développement occidental est en train de faire sur l’écosphère et, par conséquent, sur l’humanité même !
Découvrez d’autres interviews d’experts dans le cadre de notre campagne #PassTheMic : des experts en santé mondiale prennent la parole le temps d’une journée sur les réseaux sociaux de célébrités pour partager les données, les faits et la science nécessaires pour mettre fin au COVID-19. Suivez-nous sur Instagram, Facebook et Twitter pour en savoir plus.