1. Accueil
  2. Articles
  3. Les biocarburants vont-ils sauver la planète ou la tuer ?

Les biocarburants vont-ils sauver la planète ou la tuer ?

Données

Inscrivez-vous pour recevoir Ondes de choc, notre newsletter hebdomadaire pour suivre les conséquences des différentes crises actuelles (économique, sanitaire, alimentaire, climatique), notamment pour les pays d’Afrique. Nous vous proposons des analyses pointues, succinctes et réfléchies de la part des experts de ONE.

Cette semaine dans Ondes de Choc : nous nous intéressons aux biocarburants, une source d’énergie renouvelable de plus en plus populaire. Ils sont souvent présentés comme un outil essentiel dans la lutte contre le changement climatique, mais le sont-ils vraiment ? Nous avons invité la rédactrice Mariam Kenza Ali, de la Fondation Packard, pour un voyage à travers le continent. 

ACTUALITES

Alimenter la faim : Au beau milieu d’une crise alimentaire qui laisse une personne sur dix en état de sous-alimentation, nous brûlons de la nourriture qui pourrait nourrir 1,9 milliard de personnes, afin de produire des biocarburants à la place. Les biocarburants sont produits à partir de denrées alimentaires, d’huiles alimentaires usagées ou d’autres matières organiques pour produire des carburants liquides destinés au transport. Ces carburants représentent 55 % de l’ensemble des énergies renouvelables dans le monde et 60 % de l’énergie renouvelable dans l’Union européenne. C’est peut-être une bonne chose dans un contexte où il est urgent d’abandonner les énergies fossiles, et l’industrie devrait doubler d’ici à 2030. Mais nous avons décidé d’enquêter pour comprendre ce qu’il se passe réellement.

Brûler des calories : Les biocarburants sont considérés comme une solution aux besoins en énergies renouvelables, mais cette équation ne tient pas compte de leur impact sur la sécurité alimentaire. Si les États-Unis et l’Europe réduisaient de moitié la quantité de céréales qu’ils brûlent pour produire de l’éthanol, ils pourraient remplacer entièrement toutes les exportations de céréales perdues à cause de la guerre en Ukraine. L’UE brûle une quantité de blé équivalente à 15 millions de pains par jour pour produire des biocarburants. Les États-Unis convertissent 30 à 40 % de leurs récoltes de maïs et de soja en biocarburants, ce qui fait grimper les prix et réduit l’offre alimentaire. Ces hausses de prix ont un impact disproportionné sur l’Afrique, qui importe pour plus de 75 milliards de dollars de céréales par an, un coup dur pour les gouvernements à court de liquidités. Les dépenses alimentaires représentent 40 % des dépenses des ménages en Afrique subsaharienne, contre 17 % dans les pays développés. Autre fait peu amusant : l’augmentation de la production de biocarburants a contribué à la crise des prix alimentaires de 2008.

Tous les biocarburants ne sont pas égaux : Certains biocarburants n’émettent pas de carbone voire permettent d’en réduire les émissions, comme ceux produits à partir de déchets, d’herbes et d’arbres à croissance rapide tels que l’eucalyptus ou le peuplier. Ces biocarburants font partie de la solution au changement climatique, mais ce ne sont pas ceux dont l’utilisation commerciale est la plus répandue. L’huile de colza et l’huile de palme, qui représentent les deux tiers des sources de biocarburants de l’UE, produisent plus d’émissions de gaz à effet de serre que le diesel. Les biodiesels issus d’huiles végétales – qui représentent près de 70 % du marché européen des biocarburants – émettent 80 % de plus que le diesel fossile qu’ils remplacent. Et ce, avant même de prendre en compte les autres impacts environnementaux et sociétaux.

Une controverse brûlante : Bien que l’impact des biocarburants sur le climat reste un sujet controversé, les incitations et les politiques publiques favorisent leur croissance rapide. Des lobbyistes aux poches bien garnies et des entreprises astucieuses – bénéficiant de normes et de contrôles incohérents ainsi que de résultats scientifiques contradictoires – ont persuadé de nombreuses personnes, y compris des décideurs politiques, que toutes les formes de biocarburants sont bonnes pour la planète. Cher lecteur, chère lectrice, nous avons le regret de vous annoncer que ce n’est pas le cas.

L’éthanol de maïs fait parler de lui : Selon l’expert auquel vous vous adressez, l’éthanol de maïs peut être meilleur – ou pire – que les énergies fossiles. D’un côté, des experts sérieux affirment que l’éthanol de maïs libère 46 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins que les énergies fossiles. De l’autre, des analyses d’experts suggèrent que l’éthanol de maïs pourrait émettre 24 % d’émissions en plus. Quoi qu’il en soit, les États-Unis poursuivent leurs projets d’augmentation de la production d’éthanol de maïs. Ces derniers produisent déjà plus de 40 % des biocarburants dans le monde, dont la majeure partie sous cette forme. Ce qui manque à ce débat, c’est l’impact de la monoculture sur la biodiversité et l’eau, qui est souvent ignoré ou négligé dans les analyses académiques et les politiques publiques. 🤦🏽

L’arbre qui cache la forêt : L’utilisation de cultures vivrières pour produire des biocarburants à grande échelle nécessite beaucoup de terres agricoles, ce qui implique inévitablement l’abattage d’arbres. Cela a des conséquences sur le climat : les forêts de la planète stockent plus de carbone que tous les gisements de pétrole, de gaz et de charbon exploitables. De plus, elles absorbent 30 % des émissions annuelles mondiales de carbone, et ce gratuitement ! L’augmentation de la demande en biocarburants devrait entraîner la déforestation d’une superficie équivalente à celle des Émirats arabes unis d’ici à 2030. L’Afrique possède environ un sixième des forêts restantes de la planète, et ses forêts pluviales absorbent chaque année plus de CO2 que l’Amazonie. Au rythme actuel de la déforestation, toutes les forêts primaires d’Afrique auront disparu d’ici 2100. Et cela sans que l’Afrique soit un grand producteur de biocarburants… pour le moment.

La mondialisation : Malgré les effets négatifs potentiels des principaux biocarburants sur la sécurité alimentaire et le changement climatique, ces derniers gagnent en popularité. Plusieurs pays africains, dont l’Angola, l’Éthiopie, le Kenya, le Malawi, le Mozambique, le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Soudan, ont des mandats ou des objectifs d’incorporation de biocarburants. Les vastes surfaces cultivables de l’Afrique et la pénurie d’électricité rendent les biocarburants attrayants, mais les compromis sur la sécurité alimentaire, l’eau et la biodiversité pourraient avoir des conséquences mortelles. Les rendements céréaliers de l’Afrique sont déjà parmi les plus faibles. La canne à sucre, la plante la plus utilisée pour les biocarburants dans les pays africains, nécessite plus d’eau que les aliments de base comme le sorgho et le maïs. On pourrait faire valoir que les terres agricoles de l’Afrique seraient mieux utilisées pour produire suffisamment de nourriture pour sa population en pleine croissance (🚨 elle devrait presque doubler d’ici 2050 🚨).

L’énergie solaire : Lorsqu’il s’agit de répondre durablement aux besoins énergétiques de l’Afrique, l’énergie solaire est une meilleure alternative que l’utilisation à grande échelle de biocarburants. L’énergie solaire photovoltaïque peut produire 100 fois plus d’énergie que l’éthanol de maïs par hectare. L’Afrique possède 60 % des ressources solaires du monde, mais à peine plus de 1 % de la capacité d’exploitation installée. À grande échelle, cette énergie pourrait créer 3,3 millions d’emplois en Afrique, soit bien plus que les biocarburants. Si seulement les investisseurs reconnaissaient ce qu’ils ont sous les yeux et si les acteurs du marché tels que les agences de notation réduisaient le coût du capital.

Susciter l’espoir : Le lien entre les biocarburants et l’insécurité alimentaire incite certains décideurs politiques à repenser leur utilisation. L’Union européenne a plafonné à 7 % l’utilisation de carburants d’origine alimentaire dans le secteur des transports. Elle a également proposé une élimination immédiate des biocarburants à base de palme et de soja et, compte tenu de la crise alimentaire mondiale, elle envisageait de réduire de moitié la part des biocarburants issus d’autres cultures. L’accord provisoire conclu jeudi semble avoir revu à la baisse cette ambition. Bien que nous attendions toujours le texte définitif, il semble qu’il n’y aura pas d’élimination progressive de l’huile de soja et qu’il n’y aura pas d’élimination anticipée de l’huile de palme. L’accord exigerait toutefois que 5,5 % des énergies renouvelables destinées au secteur des transports proviennent de biocarburants non alimentaires. Entre-temps, l’Allemagne envisage d’aller encore plus loin et retirer tous les biocarburants à base alimentaire en raison de leur impact sur les prix et l’offre alimentaire. 🎉

Une troisième (et meilleure) voie : Les biocarburants pourraient jouer un rôle important en aidant la communauté internationale à atteindre ses objectifs climatiques. Mais pour cela, il faudra passer à des biocarburants produits à partir de déchets et de cultures non alimentaires qui n’entraînent pas de dégradation des sols. Pour que le monde parvienne à un niveau d’émissions nettes nulles d’ici à 2050 et s’attaque aux effets du climat sur l’agriculture, il convient de donner la priorité aux biocarburants produits à partir de ces sources et de réaffecter rapidement les terres consacrées à la culture de denrées alimentaires pour les biocarburants afin de nourrir des centaines de millions de personnes. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer en donnant la priorité à la nourriture sur le carburant, tout en encourageant et en réduisant les risques liés aux investissements nécessaires dans la recherche et le développement afin de réduire les coûts de production des déchets et des biocarburants produits à partir de cultures non alimentaires. Cela permettra à ces biocarburants plus respectueux de l’environnement d’être produits à grande échelle. Notre avenir en matière d’énergie renouvelable – et l’avenir de la planète – pourrait bien être en jeu.

L’ÉQUIPE DE ONE EN ACTION : 

  • Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la Banque africaine de développement se trouve dans ce thread !
  • Ecoutez ou réécoutez le passage de notre jeune Ambassadrice Romane sur France Bleu Champagne Ardenne, qui explique ses missions en tant que bénévole de ONE et les actions qu’elle mènera aux côtés des 55 jeunes qui s’engagent avec nous cette année.
  • Les 55 jeunes Ambassadeurs et Ambassadrices de ONE en France se sont réuni·e·s les 11 et 12 mars derniers pour le lancement de la promotion 2023 ! Ils vous racontent leur week-end de lancement juste ici.

LES CHIFFRES :

A suivre

Endettés dans l’obscurité

Endettés dans l’obscurité

Votre infolettre en musique africaine

Votre infolettre en musique africaine

Les pays riches dépensent 170 fois plus pour la santé

Les pays riches dépensent 170 fois plus pour la santé