Il y a encore une vingtaine d’années, lorsque le temps était clair et ensoleillé, les habitants de Nairobi pouvaient apercevoir les deux plus hautes montagnes d’Afrique depuis certains endroits stratégiques. Au nord, le mont Kenya et au sud, le mont Kilimandjaro, tous deux situés à environ 200 kilomètres de la ville. La vue était alors spectaculaire sur ces deux montagnes majestueuses, situées dans deux pays voisins. Elles étaient toutes deux couvertes de neige, un phénomène inhabituel pour des montagnes situées si près de l’équateur.
Mais de tels paysages sont devenus rares de nos jours. La pollution atmosphérique à Nairobi et dans ses environs a largement réduit la visibilité des montagnes depuis la ville. Et lorsqu’elles apparaissent à l’horizon, les habitants de longue date voient la différence : la quantité de neige a considérablement diminué par rapport à avant. Cette fonte des glaciers ainsi que la diminution des chutes de neige sur les deux montagnes sont à l’origine des inquiétudes liées à l’impact du réchauffement climatique sur les chaînes de montagnes les plus pittoresques d’Afrique de l’Est.
L’emblématique mont Kilimandjaro, situé en Tanzanie, séduit touristes et alpinistes, tous hypnotisés par ses pentes douces, ses grands glaciers et ses calottes glaciaires. Mais les neiges du Kilimandjaro pourraient bien être amenées à fondre totalement dans les dix prochaines années. Une étude a révélé que les champs de glace du Kilimandjaro ont diminué d’environ 85 % au cours des 100 dernières années, passant de 12 km² à seulement 1,85 km². D’après certaines études, le plus grand glacier du mont Kenya a rétréci de 90 % depuis 1934.
Le changement climatique frappe l’Afrique plus durement que les autres régions du monde
Parmi les dix pays considérés comme étant les plus vulnérables face au changement climatique, sept d’entre eux sont des pays africains. L’Afrique est pourtant le continent qui a le moins contribué au réchauffement planétaire. Elle produit en effet moins de 4% des émissions mondiales de CO2, mais reste celle qui souffre le plus durement de leur impact. Le continent est particulièrement vulnérable face au changement et à la variabilité climatiques, en raison des niveaux élevés de pauvreté et d’une agriculture grandement dépendante des niveaux de précipitations.
“Si les taux de recul actuels se maintiennent, la glace des montagnes africaines aura entièrement fondu d’ici les années 2040. Celle du mont Kenya aura probablement fondu une décennie plus tôt, ce qui en fera l’une des premières chaînes montagneuses à perdre entièrement ses glaciers en raison du changement climatique anthropique”, indique le rapport qui s’intitule “L’état du climat en Afrique en 2020“, un rapport conjoint de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), d’autres agences des Nations unies, de l’Union africaine, d’experts africains et d’institutions scientifiques et techniques internationales partenaires.
Le rythme du rétrécissement semble s’être accéléré au cours des 20 dernières années, principalement en raison de la modification des régimes de température de la surface de la mer dans l’océan Indien, qui a réduit la quantité et la fréquence des pluies sur les montagnes et a fait fondre les glaciers.
De plus, la masse terrestre de l’Afrique s’est réchauffée plus rapidement que les autres régions du monde. Dans toutes les sous-régions africaines, les températures ont été plus élevées au cours de la période 1991-2020 qu’au cours de la période 1961-1990, et nettement plus élevées qu’au cours de la période 1931-1960. Les plus fortes hausses de température ont été enregistrées dans le nord-ouest du continent, dans les zones équatoriales occidentales et dans certaines parties de la grande Corne de l’Afrique.
L’augmentation de la température des terres et de la mer entraîne une diminution des précipitations dans de nombreux pays, ce qui a des répercussions sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. Le réchauffement de la planète entraîne une augmentation des précipitations dans les régions qui reçoivent déjà beaucoup de pluie (comme les ceintures équatoriale et subpolaire), tandis que les régions qui en reçoivent déjà peu (comme les zones sèches subtropicales) en reçoivent encore moins qu’avant.
Une insécurité alimentaire croissante
Les mauvaises récoltes dues à des pluies insuffisantes ou excessives peuvent être dévastatrices pour les petits agriculteurs africains, dont la majorité pratique une agriculture dite pluviale, basée sur l’eau de pluie. Ce phénomène a engendré une insécurité alimentaire croissante dans certaines parties du continent. L’agriculture contribue en grande partie au PIB de nombreux pays africains, or le changement climatique pourrait faire baisser le PIB de l’Afrique subsaharienne de près de 3 %.
En Afrique, près de 98 millions de personnes ont souffert d’insécurité alimentaire en 2020, soit une augmentation de près de 40 % par rapport à 2019 selon le “Rapport mondial de 2021 sur les crises alimentaires” du Programme alimentaire mondial. L’augmentation de l’insécurité alimentaire est en partie liée à la pandémie de COVID-19, qui a entraîné d’importantes pertes d’emplois et une réduction des revenus dans la plupart des pays.
Cependant, la pandémie n’est pas la seule raison de l’augmentation de l’insécurité alimentaire dans certains pays africains. Les conflits de longue durée, les faibles précipitations, les invasions de criquets et la désertification croissante ont encore aggravé la crise. Parmi les pays les plus touchés, on retrouve la République démocratique du Congo, le Soudan, le nord du Nigeria, l’Éthiopie, le Sud-Soudan et la Somalie.
Les phénomènes météorologiques extrêmes ont également entraîné la disparition d’espèces et d’écosystèmes, avec de graves conséquences sur les rendements de l’agriculture et de la pêche. Les sécheresses, les inondations et les tempêtes détruisent également les cultures. Bien plus, les inondations et les tempêtes créent des terrains de reproduction pour les moustiques et contaminent l’eau potable, ce qui entraîne la propagation de maladies telles que le paludisme et le choléra.
La nécessité de systèmes d’alerte et d’investissements
En raison de la faiblesse des systèmes d’alerte rapide et du manque d’accès aux informations météorologiques, il est plus difficile pour les populations africaines de réagir aux crises imminentes. Les systèmes d’alerte rapide qui intègrent l’évaluation des risques, la surveillance et la prévision, la diffusion et la communication des avertissements, et la prise de mesures appropriées pour réduire l’impact des catastrophes se sont avérés efficaces pour faire face aux impacts du changement climatique. Des enquêtes menées par le FMI auprès de ménages en Éthiopie, au Malawi, au Mali, au Niger et en Tanzanie ont montré que l’élargissement de ces systèmes et l’amélioration de l’accès à l’information pouvaient réduire l’insécurité alimentaire jusqu’à 30 %.
Pour atténuer l’impact du changement climatique sur les pays africains, il faut investir davantage dans la prévention, la préparation, la réduction des risques de catastrophe, l’engagement politique, l’orientation juridique, ainsi que la collecte et l’analyse des données. Selon l’Alliance financière africaine sur le changement climatique, l’Afrique pourrait avoir besoin d’investissements d’une valeur de plus de 3 000 milliards de dollars dans l’atténuation et l’adaptation d’ici à 2030 pour soutenir l’action en matière de changement climatique. Mais ce défi représente également d’énormes opportunités pour les investisseurs du secteur privé, notamment ceux qui s’intéressent aux énergies renouvelables.
“Les acteurs financiers africains doivent collaborer de manière créative pour mobiliser des ressources financières mondiales à une échelle qui puisse soutenir l’innovation locale et favoriser un développement résilient au changement climatique et à faible émission de carbone sur le continent. Après avoir été lésée par le changement climatique, l’Afrique ne doit pas l’être par le financement climatique”, déclare Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement.
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Pour en savoir plus sur les impacts sanitaires, économiques et sociaux du COVID-19 en Afrique, consultez notre outil de suivi, l’Africa COVID-19 Tracker de ONE. Il rassemble les dernières données en temps réel sur les impacts de la pandémie pour le continent et pour chaque pays africain, y compris des informations sur la sécurité alimentaire. Ces données proviennent d’institutions mondiales, de gouvernements et d’universités. Pour plus d’informations et d’analyses, inscrivez-vous à notre newsletter Aftershocks et suivez le compte @ONEAftershocks sur Twitter.
Rasna Warah est une écrivaine et journaliste kényane qui travaille avec ONE dans le cadre de la newsletter Aftershocks.