Les grands titres de l’actualité lui sont souvent décernés : l’évasion fiscale est un sujet crucial au cœur de notre société. Année après année, les scandales font surface. Pandora Papers, Panama Papers, SwissLeaks, taxe GAFA… Si ces noms vous disent quelque chose, c’est parce qu’ils ont fait la UNE des médias dernièrement.
Si de nombreuses ONG travaillent sans relâche afin d’enrayer ce système, chaque année des milliards sont détournés sans que jamais rien ne change. Les évadés fiscaux restent le plus souvent impunis et profitent des failles de la fiscalité internationale pour réaliser leurs opérations.
Evasion fiscale : définition
L’évasion fiscale consiste à éviter de payer ses impôts dus ou à en réduire le montant final grâce à des montages financiers dont l’unique but est celui de payer moins d’impôts.
Elle peut être pratiquée par des particuliers, généralement très fortunés, et des entreprises nationales et internationales. On parle alors d’évadés fiscaux. Chacun met en œuvre différentes stratégies, montages juridiques ou failles légales pour réduire ou éliminer ses obligations fiscales.
L’évasion fiscale est une « zone grise » entre l’optimisation fiscale (qui est légale) et la fraude fiscale (qui est illégale et punie par la loi). Un exemple d’évasion fiscale est le transfert artificiel des bénéfices des multinationales entre ses différentes branches ou filiales en fonction du pays : les bénéfices sont généralement transférés artificiellement dans des pays à la fiscalité faible ou inexistantes (comme les paradis fiscaux), même s’ils ont été réalisés dans d’autres pays aux taux d’imposition plus importants.
Ce genre de pratiques exploite les failles du système fiscal international qui n’a pas réussi à s’adapter aux récentes évolutions du monde économique, et notamment l’internationalisation de l’économie mondiale.
Comment lutter contre l’évasion fiscale ?
De nombreux gouvernements et organisations internationales tentent de lutter contre l’évasion fiscale. Voici des mesures qui sont mises en place pour y parvenir :
- Les gouvernements mettent en place des lois plus strictes et des réglementations plus rigoureuses pour décourager et sanctionner l’évasion fiscale. Cela comprend l’introduction de lois anti-évasion fiscale, la fermeture des failles légales et la révision des régimes fiscaux pour les rendre plus transparents et équitables. En 2018 par exemple, le Parlement français a adopté la Loi contre la fraude fiscale qui met fin au « verrou de Bercy » et donc d’améliorer les poursuites judiciaires et les condamnations publiques des fraudes fiscales les plus graves.
- La transparence : les gouvernements et les organisations internationales renforcent également les obligations de transparence des individus et des multinationales, même si ces impératifs mériteraient d’être encore plus ambitieux. Une récente directive européenne impose ainsi de communiquer les bénéficiaires effectifs des sociétés et des trust afin d’empêcher certains individus de dissimuler des fonds dans une société-écran (qui ne porte pas son nom). Les multinationales doivent également rapporter à l’OCDE un reporting pays par pays public des informations financières et comptables de base sur leurs activités. Ces informations permettent de déceler les schémas de transferts artificiels de bénéfices.
- L’échange automatique d’informations fiscales. Les pays mettent en place des mécanismes d’échange automatique d’informations fiscales pour partager les données financières des contribuables entre les juridictions. Cela permet de détecter les comptes bancaires offshore (c’est-à-dire les comptes qui sont créés dans un autre pays que celui où se déroule l’activité, généralement dans un paradis fiscal afin d’optimiser la fiscalité) et les transactions suspectes, réduisant ainsi les possibilités de dissimulation de revenus et de capitaux.
- La coopération internationale s’améliore. Les gouvernements travaillent en collaboration avec d’autres pays et organisations internationales, cela inclut l’échange d’informations fiscales, la coordination des enquêtes transfrontalières et la mise en place de normes internationales pour lutter contre l’évasion fiscale.
- La surveillance et les audits fiscaux augmentent. Les autorités fiscales renforcent leurs capacités de surveillance et d’audit pour détecter les comportements fiscaux illégaux. Elles utilisent des technologies avancées d’analyse de données et d’algorithmes pour repérer les schémas de fraude fiscale et cibler les contribuables à risque.
- La sensibilisation et l’éducation du public jouent un rôle crucial dans la lutte contre l’évasion fiscale. Les gouvernements et les organismes fiscaux mènent des campagnes de sensibilisation pour informer les contribuables sur les conséquences de l’évasion fiscale, les avantages de la conformité fiscale et les mesures prises pour lutter contre la fraude fiscale.
- La sévérité des sanctions et poursuites à l’encontre des exilés fiscaux et des fraudeurs augmente et des mesures dissuasives sont prises pour décourager l’évasion fiscale et punir ceux qui s’engagent dans de telles pratiques.
Combien coûte l’évasion fiscale ?
L’évasion fiscale ne bénéficie à personne, hormis à une petite élite composée de particuliers fortunés et de grandes multinationales. En privant les Etats de ressources financières essentielles pour financer la lutte contre la pauvreté et les inégalités : l’évasion fiscale à un coût humain considérable.
L’évasion fiscale est une pratique opaque, chiffrer son coût est un exercice complexe, voire quasi impossible. Cependant, plusieurs estimations ont été réalisées.
En 2013, le syndicat Solidaires-Finances publiques estimait que le montant de la fraude fiscale en France se situait entre 60 à 80 milliards d’euros. Une somme conséquente puisque le déficit de l’Etat s’est élevé à 85,6 milliards d’euros en 2014, selon Bercy. Cela représente un montant supérieur au budget de l’Éducation nationale (52 milliards d’euros en 2020), l’un des postes de dépense les plus importants de l’Etat.
La plus récente estimation a été réalisée en novembre 2020 par le réseau international Tax Justice Network. Ses chercheurs ont calculé qu’à l’échelle mondiale les pays perdent au total plus de 427 milliards de dollars d’impôts chaque année en raison de l’évasion fiscale des entreprises et des personnes. C’est l’équivalent de près de 34 millions de salaires annuels d’infirmières chaque année – soit le salaire annuel d’une infirmière par seconde.
Quelles sont les causes de l’évasion fiscale ?
L’existence des paradis fiscaux, qui sont les premiers maillons de la chaîne de l’évasion fiscale, est une des causes principales.
S’il n’existe pas de définition officielle d’un paradis fiscal, l’Organisation de Coopération et Développement Économiques (OCDE) considère qu’un paradis fiscal est un territoire qui répond aux caractéristiques suivantes :
- le secret bancaire y est strictement appliqué ;
- les taxes sur les revenus, les bénéfices ou les patrimoines, sont faibles ou nulles, particulièrement pour les non-résidents ;
- les conditions d’installation de sociétés et d’ouverture de comptes sont peu contraignantes ;
- la coopération judiciaire et fiscale avec les autres États est faible ou inexistante.
Autres caractéristiques habituelles : ces pays ou territoires doivent être stables sur les plans économiques et politiques afin de rassurer les investisseurs. On retrouve également un secteur financier surdéveloppé par rapport à la taille du territoire et à la dimension de son économie.
Un paradis fiscal est un pays ou un territoire qui a délibérément adopté des lois et des politiques fiscales permettant à des particuliers ou à des entreprises de réduire au maximum leurs impôts dans les pays où ils sont réellement actifs.
Sans eux, pas d’évasion fiscale !
Mais l’existence de l’évasion fiscale tient à plusieurs facteurs qui permettent aux individus et aux entreprises de contourner ou d’éviter légalement ou illégalement leurs obligations fiscales. Voici quelques raisons :
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- La complexité du système fiscal. Les systèmes fiscaux sont complexes, avec de nombreuses lois, réglementations et exemptions. Cette complexité offre des opportunités pour trouver des failles ou des échappatoires fiscales. Les personnes ou les entreprises peuvent exploiter ces failles pour minimiser leur charge fiscale ou dissimuler leurs revenus.
- Les causes législatives sont parmi les causes les plus importantes de l’évasion fiscale. Le flou juridique ou l’absence de sanctions entretiennent les pratiques d’évasion fiscale.
- Les enjeux diplomatiques et économiques. Ces enjeux propres à chaque pays pourraient pousser vers le maintien du “statu quo” avec des modifications de la législation à la marge ou vers un ensemble non coordonné de mesures unilatérales destinées à protéger uniquement les économies nationales.
Les faiblesses dans l’application des lois fiscales
Les autorités fiscales manquent de ressources, de compétences ou de moyens pour appliquer strictement les lois fiscales. Cela crée un environnement où les évadés fiscaux se sentent en sécurité et sont moins susceptibles d’être détectés ou poursuivis.
L’utilisation de structures offshore et sociétés-écrans
Les comptes bancaires offshore et les sociétés-écrans permettent de dissimuler la propriété réelle des actifs et des revenus. Ces structures opaques rendent difficile la détection des revenus et des transactions, facilitant ainsi l’évasion fiscale.
La collusion et la corruption
Dans certains cas, il peut y avoir une complicité ou une corruption au sein des autorités fiscales ou des institutions financières chargées de la réglementation. Cela peut permettre de bénéficier d’un traitement de faveur ou de contourner les contrôles et les enquêtes.
La digitalisation
La mondialisation et la complexification des marchés et des chaînes de valeurs ne sont pas correctement intégrées dans les législations fiscales des Etats qui se basent encore principalement sur des règles fixées au début du 20ème siècle. Avec la digitalisation de l’économie mondiale, les multinationales, à commencer par les géants du numérique, peuvent réaliser des profits dans un pays sans y être physiquement présent.
Quelle est la différence entre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale ?
Plusieurs termes existent et sont souvent mal interprétés ou mal utilisés. On confond souvent évasion fiscale avec fraude fiscale et optimisation fiscale.
La fraude fiscale
La fraude fiscale est le contournement illégal par un contribuable – particulier ou une entreprise – de la législation fiscale. Elle est punie par la loi. C’est le cas par exemple des comptes bancaires dissimulés à l’étranger ou de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents.
L’optimisation fiscale
L’optimisation fiscale est le fait d’échapper à l’impôt par des moyens légaux, en exploitant les possibilités offertes par la loi.
Qui pratique l’évasion fiscale ?
Les utilisateurs des paradis fiscaux sont divers. On retrouve des entreprises qui y installent des filiales ainsi que des fonds spéculatifs, des filiales de banques, des particuliers dits riches ou encore des sociétés d’investissement.
Toutes les entreprises françaises du CAC 40 sont présentes (au moins à travers certaines de leurs filiales) dans les pays offrant des services financiers qui s’apparentent à ceux de paradis fiscaux, , comme la Suisse ou le Luxembourg par exemple.
En parallèle, on retrouve également les réseaux criminels internationaux qui s’appuient sur les paradis fiscaux afin de blanchir de l’argent.
Quelles sont les conséquences de l’évasion fiscale ?
L’évasion fiscale prive les gouvernements de revenus importants qui pourraient être utilisés pour financer des services publics tels que l’éducation, les soins de santé, l’infrastructure et d’autres programmes sociaux. Cela crée également un déséquilibre dans la répartition des charges fiscales, car ceux qui échappent à l’impôt peuvent imposer une charge plus lourde sur les autres contribuables.
En novembre 2020, les chercheurs du réseau international Tax Justice ont calculé qu’à l’échelle mondiale, les pays perdent au total plus de 427 milliards de dollars d’impôts chaque année en raison de l’évasion fiscale des entreprises et des personnes. C’est l’équivalent de près de 34 millions de salaires annuels d’infirmières chaque année.* source Oxfam.
Prenons l’exemple de l’Ouganda, pays d’Afrique de l’Est, qui a signé des accords bilatéraux avec quelques pays, dont les Pays-Bas, paradis fiscal au cœur de l’Europe, afin d’attirer des investissements et des emplois.
Si cet accord semble attractif et positif, il empêche dans le même temps l’Ouganda de prélever des impôts sur différentes formes de paiements transfrontaliers, notamment les dividendes, les intérêts, les redevances et les frais de services techniques. Par conséquent, les multinationales basées aux Pays-Bassont en mesure de transférer leurs bénéfices hors de l’Ouganda en payant très peu ou pas d’impôts.
Dans un rapport « L’argent du pétrole » publié en octobre 2020, Oxfam a révélé comment la convention fiscale signée entre l’Ouganda et les Pays-Bas permet aux grandes entreprises comme Total de payer toujours moins d’impôts,et prive ainsi l’Ouganda d’une part équitable des futurs revenus pétroliers. Ainsi, l’Ouganda ne bénéficiera pas de près de 300 millions de dollars, à minima, de recettes fiscales de Total et d’une entreprise partenaire chinoise alors qu’un Ougandais sur cinq vit dans une pauvreté extrême.
De la même manière, un rapport d’Oxfam, Sherpa et ONE de 2017, intitulé “la transparence à l’état brut”, montre que les négociations fiscales de 2014 entre Areva et le Niger n’ont pas entraîné une augmentation des versements financiers d’Areva liées à l’exploitation de l’uranium, contrairement à ce qui était attendu par la société civile. Une nouvelle méthode de calcul de sa redevance pourrait potentiellement en être la cause, ce qui aurait pu faire perdre près de 15 millions d’euros au Niger en 2015. Les exportations d’uranium par Areva du Niger vers la France pourraient également avoir été sous-évaluées par rapport aux prix pratiqués, ce qui aurait pu réduire davantage le montant des contributions d’Areva.
L’évasion fiscale est un des impacts néfastes liés au flux financiers illicites, catégorie plus large qui regroupe également le blanchiment d’argent et la corruption. Selon les Nations unies, l’Afrique perd chaque année jusqu’à 89 milliards de dollars à chaque des flux financiers illicites. ONE dénonçait déjà en 2014 le plus gros casse du siècle : les ressources financières perdues par la totalité des pays en développement pouvaient atteindre mille milliards de dollars par an.
Or, ces recettes permettraient à ces pays de rembourser leurs dettes, et de financer des services tels que la santé ou l’éducation afin d’améliorer la qualité de vie et l’espérance de vie de leur population. Les pertes fiscales des pays à faible revenu peuvent représenter jusqu’à la moitié de leurs budgets de santé publique combinés.