Qu’est-ce qu’une diplomatie féministe ?
Créé en 2013 par François Hollande, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (ou HCE) est un organe indépendant qui a pour missions d’assurer la concertation avec la société civile, d’animer le débat public sur les droits des femmes, mais aussi et surtout d’évaluer les politiques publiques françaises au regard de l’impact sur l’égalité femmes-hommes.
Ce mois-ci, le HCE a remis au gouvernement son nouveau rapport sur la « diplomatie féministe », un concept encore balbutiant revendiqué par une poignée de pays. En 2018, la France affichait pour la première fois son ambition de mettre en place une diplomatie féministe, rejoignant ainsi les deux pays précurseurs en la matière – la Suède et le Canada ; récemment ralliés par le Mexique.
Le problème : il n’existe encore aucun texte adopté au plan international qui définisse ce concept, et les conceptions varient donc selon les États. C’est pourquoi le HCE propose sa propre définition : une diplomatie féministe serait la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de son action extérieure dans l’ensemble de ses dimensions, en assurant notamment la participation à parts égales des femmes et des mouvements féministes dans sa construction et sa mise en œuvre et qui, pour ce faire, alloue des moyens humains et financiers sur le long terme pour assurer que cette diplomatie ait un réel impact.
Où en est la France ?
Pour la France, certains progrès sont indéniables : le sujet est politiquement porté à haut niveau, notamment par l’engagement présidentiel de faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause du quinquennat ». La France s’est portée volontaire pour accueillir des évènements phares sur l’égalité femmes-hommes, comme le G7 de Biarritz en 2019 ou encore le Forum Génération Égalité qui aura lieu en 2021. Elle défend aussi de plus en plus le sujet des droits et santé sexuels et reproductifs, bien que le sujet ait été mis sous silence pendant le G7 du fait de la présence bloquante des États-Unis.
Malgré ces avancées, force est de constater que la diplomatie féministe n’est pas une priorité suffisamment assumée par l’Etat français. La diplomatie féministe française est loin d’avoir atteint la maturité des politiques suédoise et canadienne : des moyens humains et financiers insuffisants, une parité inexistante dans le corps diplomatique, l’angle mort de certaines politiques étrangères – enjeux de défense et de sécurité, de commerce international… Le HCE repère de nombreuses marges de progression pour que la diplomatie française soit réellement « féministe » et formule 19 recommandations pour y parvenir. Créer un Conseil pour la diplomatie féministe française (CDFF), respecter les quotas de recrutement de femmes dans l’armée, consulter davantage les associations féministes de terrain, renforcer les formations contre les stéréotypes sexistes, ou encore évaluer l’impact des accords commerciaux sur les droits des femmes sont autant de pistes qui seront bientôt présentées au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Pas de diplomatie féministe sans APD féministe
Les impacts des crises ne sont jamais neutres en termes d’inégalités femmes-hommes, et celle du COVID-19 ne fait pas exception. Alors que les femmes sont déjà disproportionnellement impactées par l’extrême pauvreté dans le monde, elles sont d’autant plus vulnérables face aux conséquences de la pandémie. ONU Femmes prévoit déjà que la pandémie va exacerber les inégalités économiques déjà existantes entre les femmes et les hommes. L’aide publique au développement (APD) doit prendre en compte ces inégalités structurelles aggravées par la crise, et répondre aux obstacles spécifiques des femmes et des filles. C’est pourquoi la France devrait accompagner sa diplomatie féministe d’une APD féministe.
Pourtant, la France reste très en-deçà de la moyenne des pays donateurs d’aide : seulement 21%[1] de l’aide française est « genrée », c’est-à-dire qu’elle comprend parmi ces objectifs la lutte contre les inégalités femmes-hommes dans ses projets mis en œuvre sur le terrain. La Suède et le Canada montrent toutefois qu’un objectif ambitieux est possible, en déployant chacun plus de 80% d’aide « féministe ».
Pour que l’aide française soit en cohérence avec ses ambitions, le HCE préconise de fixer des objectifs d’APD genrée plus élevés : d’ici 2025, 85% d’aide française doit avoir pour objectif de lutter contre les inégalités femmes-hommes sur le terrain, dont 20% d’aide qui en fait son objectif principal. ONE salue cette ambition mais estime que l’objectif devrait être atteint d’ici 2022, avant la fin du quinquennat.
Reste à savoir si la France est prête à passer d’un « slogan mobilisateur » à une véritable dynamique de changement.
[1] Chiffres calculés par ONE sur la base des données de 2018. Du fait d’une différence de méthodologie de calcul, les chiffres diffèrent légèrement de ceux cités par le HCE.