Retour sur les discours engagés des dirigeants, qui ne se révèlent pas toujours en accord avec leurs actions concrètes. Ces promesses, déjà cruciales en 2017, devraient aujourd’hui revenir au cœur de nos politiques face aux effets de la pandémie et l’explosion de la pauvreté dans le monde : pour la première fois depuis 1990, l’extrême pauvreté ne va pas reculer mais augmenter, et jusqu’à 150 millions de personnes supplémentaires risquent de basculer dans l’extrême pauvreté en 2021.
1) Le vaccin contre le COVID-19 n’est toujours pas un “bien public mondial”
La promesse : Emmanuel Macron s’est engagé à faire du vaccin contre le COVID-19 un bien public mondial, c’est-à-dire un vaccin accessible à toutes et tous quelque soit l’origine ou le niveau de richesse. Le président a déclaré cette nécessité de solidarité internationale dans la stratégie vaccinale, dans plusieurs discours publics, ainsi que dans une tribune en mai 2020, cosignée par d’autres dirigeants européens comme la chancelière allemande Angela Merkel ou la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui s’engagent à rendre le vaccin “disponible, accessible et abordable pour tous”. Faire du vaccin un bien public mondial nécessite d’une part la mise en commun de ressources, notamment par le financement de l’initiative ACT-A, dispositif inédit lancé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Union européenne. Emmanuel Macron lui-même s’est engagé à y apporter un “soutien plein et entier”. D’autre part, pour que ces vaccins et ces traitements soient largement accessibles, ils doivent pouvoir être produits massivement et ne pas être sujets aux obstacles créés par la propriété intellectuelle. Les dirigeants européens se sont ainsi engagés à encourager “la libre circulation des données entre les partenaires et l’octroi volontaire de licences en matière de propriété intellectuelle”.
La réalité : Malgré les premières déclarations rejetant le ”nationalisme vaccinal”, les pays riches tendent à s’accaparer les stocks de vaccins disponibles et même la santé mondiale ne se soustrait pas à la loi du marché. L’UE dispose aujourd’hui de 3,5 fois le nombre de vaccins nécessaires pour vacciner sa population, le Canada jusqu’à 9 fois. L’accaparement des vaccins par certains pays riches ainsi que les accords bilatéraux passés avec des entreprises pharmaceutiques montrent une toute autre image que les annonces affichées.
En matière de contribution financière, la France est loin de fournir un “soutien plein et entier” : elle ne finance ACT-A pour l’instant qu’à hauteur de 125 millions d’euros, alors que sa juste part reviendrait à 1 milliard d’euros. La France a également le pouvoir d’œuvrer au niveau européen pour que la Commission européenne augmente également sa contribution financière. Combler le manque financier d’ACT-A est une opportunité décisive pour l’avenir, qui pourrait générer jusqu’à 166 fois son investissement, plutôt qu’en payer un prix lourd sur le long terme.
Pour garantir l’approvisionnement en vaccins d’autres pays, l’UE devrait également soutenir la proposition de dérogation aux droits de propriété intellectuelle (ADPIC) de l’Inde et de l’Afrique du Sud et veiller à ce que les futurs accords d’achat soient conformes aux directives de distribution équitable de l’OMS afin de garantir un approvisionnement adéquat des autres pays. Autant de conditions pour que le vaccin devienne un véritable bien public mondial et non pas le privilège d’une poignée de pays riches.
2) Un financement de l’aide publique au développement (APD) en matière d’éducation, santé et pays prioritaires insuffisant au regard des besoins
La promesse : En ce moment même, le Parlement vote une loi sur la politique de développement de la France, une promesse (tenue !) d’Emmanuel Macron. Cette loi a notamment pour objectif “l’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions”. Cette loi doit concrétiser les engagements pris par le gouvernement en 2018, et notamment celui de financer en priorité la santé, l’éducation et les pays les plus pauvres.
La réalité : Pour lutter efficacement contre l’extrême pauvreté, il est essentiel de cibler notre aide au développement vers les secteurs et les pays qui en ont le plus besoin sur le terrain. D’une part, l’aide devrait cibler les services sociaux de base que sont la santé, l’éducation, l’eau, l’assainissement et l’hygiène, et les systèmes de protection sociale. Mais aujourd’hui, seuls 25% de l’aide française est dirigée vers ces secteurs, seulement 3% va au secteur de l’éducation dans les pays pauvres, et seulement 6% à la santé ! Même constat sur le plan géographique : il faudrait cibler davantage les pays les moins avancés (PMA) où se concentrent la majorité des populations vulnérables. La France a établi une liste de 19 “pays prioritaires”, mais ces derniers ne reçoivent que 15% de son aide au total. Or pour l’instant, la loi en passe d’être votée ne fixe aucune cible concrète et ambitieuse pour les services sociaux et les pays pauvres – un manquement qui nuit à son efficacité.
3) Une politique de développement féministe ? Du retard, mais en bonne voie !
La promesse : Emmanuel Macron a fait de l’égalité femmes-hommes la “grande cause” de son quinquennat. Cette cause connaît aussi une retranscription sur la scène internationale : depuis 2019, la France affiche une “diplomatie féministe”, une “diplomatie concrète qui ne se contente pas de discours” d’après les mots du ministre Jean-Yves Le Drian et de la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa.
La réalité : Sur le plan de l’aide au développement, le risque est justement que cette diplomatie féministe se contente de beaux discours. Seulement 26% de l’aide française contribue aujourd’hui à l’égalité femmes-hommes sur le terrain, loin derrière les autres pays porteurs d’une diplomatie féministe : le Canada et la Suède ont déjà dépassé les 85% d’aide “genrée”. Les députés ont récemment voté pour l’inscription d’une cible concrète de 75% d’aide féministe à atteindre d’ici 2025 : c’est une avancée considérable pour les femmes et les filles, et un horizon nouveau pour mettre en oeuvre une aide publique au développement féministe. Il faut aller plus loin, avec un objectif de 85% !
4) Encore trop d’inaction face au changement climatique
La promesse : « Nous diviserons par deux en France le nombre de jours de pollution atmosphérique. »
La réalité : Le réchauffement climatique pourrait faire basculer, à lui seul, 130 millions de personnes dans l’extrême pauvreté d’ici à 2030 avec comme régions les plus concernées l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud. Dimanche 7 février, Emmanuel Macron s’est félicité sur les réseaux sociaux et déclare : “La France a baissé ses émissions de gaz à effet de serre en 2019 de -1,7 %. C’est au-delà de notre objectif !”. Or, même si la pollution atmosphérique a bel et bien baissé, cette promesse a été réduite et donc modifiée courant 2020. La justice a d’ailleurs condamné l’État la semaine dernière (Affaire du Siècle) notamment pour le non-respect de ses engagements autour des émissions de gaz à effet de serre, pour ne citer qu’un exemple. La politique de développement est d’ailleurs étroitement liée à la question de la justice climatique : les pays les plus pauvres sont parmi les premières victimes des dérèglements climatiques alors qu’ils en sont les moins responsables. Selon le dernier rapport d’Oxfam, les 1% les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que la moitié la plus pauvre de l’humanité.
Demain sera votée la future loi sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales, occasion unique pour les député·e·s de tout bord politique de renforcer l’ambition du texte et ainsi permettre au gouvernement de tenir ses promesses ! Suivez les conclusions du débat en direct sur notre compte twitter @ONE_Fr !
Photo : France Bleu