Pourquoi le Canada devrait rediriger ses DTS vers les pays en développement
Imaginez que vous et votre sœur traversiez tous les deux la même crise économique, mais avec des moyens très différents. Vous avez tous les deux perdu votre emploi, mais, de votre côté, vous avez déjà remboursé votre hypothèque et vous avez des économies à la banque. Votre sœur est une mère célibataire avec trois enfants et une dette étudiante impayée. La banque est prête à vous accorder un prêt, mais pas à votre sœur car elle est moins riche et ses finances sont instables. Imaginez si vous pouviez transférer votre marge de crédit à votre sœur, et tout ce que cela vous coûterait, ce sont de petits paiements d’intérêt jusqu’à ce qu’elle se remette sur pied.
Votre situation, c’est celle que le Canada vit à ce moment-même. En août 2021, en raison de la crise du Covid-19, le Canada a reçu du Fonds monétaire international (FMI) 19 milliards de dollars d’un actif spécial appelé droits de tirage spéciaux (DTS), qui a été placé dans nos réserves internationales. Cela fait partie d’une allocation record de 650 milliards de dollars américains de DTS, approuvée par les pays membres du FMI pour injecter de l’argent dans l’économie mondiale, afin d’aider à faire face aux dommages causés par la pandémie.
Les DTS peuvent être utilisés pour renforcer les réserves internationales, régler des paiements internationaux (comme une dette) ou être échangés contre de vraies devises pour acheter des biens et des services comme des vaccins ou des équipements de protection personnelle.
Il est peu probable que le Canada utilise ces nouvelles ressources, car nos réserves internationales étaient déjà bien approvisionnées. Avec une vaccination généralisée et un soutien budgétaire généreux, le Canada se remettra sur pied. Par contre, d’autres pays ont désespérément besoin de cette ressource qui « accumule de la poussière sur les tablettes du Canada ».
Tous les pays membres du FMI ont reçu ce soutien financier sans précédent. Mais parce qu’ils étaient distribués selon les quotas du FMI (c’est-à-dire en fonction de la taille de l’économie), une très petite partie est allée aux pays pauvres ou à faible revenu. Les 54 pays du continent africain ont reçu 42 milliards de dollars canadiens, soit seulement le double de l’allocation reçue par le Canada, mais répartie entre 54 pays !
Les ressources nationales, les investissements privés et d’autres flux de financement essentiels ont diminué dans les pays à faible revenu. Les progrès âprement obtenus ont été érodés et les priorités de développement à plus long terme, de la création d’emplois à la mise en place de systèmes de santé efficaces en passant par l’arrêt d’une catastrophe climatique, sont menacées. Depuis le début de la pandémie, on estime que 65 à 75 millions de personnes supplémentaires dans le monde sont retombées dans la pauvreté extrême.
Les pays en développement utilisent déjà cette nouvelle marge de manœuvre financière. A Madagascar les nouveaux DTS seront utilisés pour répondre à la crise sanitaire et à la relance économique, et au Sénégal ils seront utilisés pour renforcer le système de santé et augmenter la protection sociale. Le problème est que pour trop de pays à faible revenu, il y a trop peu de DTS.
C’est pourquoi nous demandons au Canada de recycler la plupart, sinon la totalité, de ses DTS, pour aider les pays en développement à se remettre de la pandémie. Cela devrait commencer avec 25 % des nouveaux DTS reçus, avant la fin de 2021. Cela permettrait de débloquer jusqu’à 4,7 milliards de dollars canadiens, ce qui équivaut approximativement aux deux tiers du budget d’aide du Canada.
L’impact serait énorme, et nous coûterait très peu, en proportion. Par exemple, si le Canada prêtait ses DTS à d’autres pays sans intérêt, le seul coût direct pour nous serait un petit montant d’intérêt payé au FMI, qui s’élèverait environ à 24 millions de dollars aux taux actuels.
Que les pays utilisent ces nouvelles ressources pour acheter des vaccins, investir dans leurs propres systèmes de santé ou rebâtir des économies plus vertes, le Canada en bénéficiera, car il s’agit dans tous les cas de biens publics mondiaux.
Les dirigeants du G7 ont déjà endossé le recyclage volontaire des DTS, mais nous avons maintenant besoin d’eux pour passer à l’action. Le Président Macron a donné le ton en s’engageant à ce qu’un cinquième de la nouvelle allocation de DTS de la France soit recyclée, et il a été suivi cette semaine par le Royaume-Uni, qui a pris également un engagement de 20 %. Janet Yellen, la Secrétaire américaine au Trésor, encourage les économies avancées à rediriger leurs DTS vers les pays en développement. Cela signifie que le Royaume-Uni, la France et les États-Unis agissent déjà sur ce sujet. Faisons en sorte que le Canada aussi passe à l’acte!
Le Canada doit mettre l’épaule à la roue et le temps presse. Ce qu’il faut maintenant, c’est une percée dans la solidarité internationale et une initiative audacieuse pour redémarrer l’économie mondiale et la reconstruire en mieux. Les DTS sont une occasion unique d’être ambitieux et de fournir un plan Marshall pour la planète, sans aucun effet, essentiellement, sur le déficit ou l’endettement du Canada.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a le pouvoir d’agir. Elle est à Washington DC cette semaine pour des réunions au FMI et à la Banque mondiale où ce sujet fait l’objet de discussions. Mercredi, elle a rencontré ses collègues ministres des Finances du G20, où ils ont réitéré leur soutien au recyclage volontaire des DTS des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres, mais sans prendre d’engagement particulier.
Les DTS ont été créés comme réserve de valeur pour faire face à des événements difficiles. Si la pandémie mondiale de Covid-19 n’est pas un événement difficile, alors qu’est-ce que c’est ? Il est temps de passer de la parole à l’action.